Septentrion. Jaargang 42
(2013)– [tijdschrift] Septentrion–
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![]() Claude Monet, La Zaan à Zaandam, huile sur toile, 42 × 73, 1871, collection privée.
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L'architecture à Zaandam: ‘Riez ou je tire’C'était une nouvelle étonnante que celle relayée par la presse en octobre 2012: Dubaï va construire une réplique du Taj Mahal, mais en plus grand, pour en faire non pas un sanctuaire mais un centre commercial. Le Taj Mahal fera partie d'un parc, aux côtés d'autres répliques de monuments comme la tour Eiffel et la tour de Pise. Un exemple de réinterprétation des icônes classiques qui ne surprend plus grand monde. De toute évidence, le copiage est un besoin primitif puisqu'on s'y adonne non seulement à Dubaï mais aussi au Japon, à Las Vegas et en de nombreux autres endroits aux États-Unis. Et chaque fois, les copistes se servent des plus grands succès de l'architecture occidentale. Partout au monde, on rencontre des réminiscences des villas de Palladio, des temples grecs et des châteaux de la Loire. Et c'est bien normal: qui n'a pas assez d'argent pour se rendre en Europe fait venir l'Europe à soi. Pour les Américains, ajoutez-y le fait que cette démarche fait partie de leur éducation. L'Europe! Paris! Londres! Il faut y avoir été! Un jour, dans l'État de Washington, j'ai visité la localité de Lynden, habitée en majorité par des Néerlandais émigrés. Ils suivent une variante très stricte du protestantisme et respectent en même temps une série de traditions néerlandaises, comme la danse en sabots et les cortèges constitués de chars décorés. Dans les rues commerçantes, on trouve un artisan boulanger, et on peut acheter des douceurs néerlandaises traditionnelles. Mais le plus étonnant, c'est le besoin qu'éprouvent ces immigrés de vivre dans un cadre néerlandais. On y trouve dès lors un moulin à vent (qui fait office de restaurant servant des poffertjes), un canal envahi de lentilles d'eau et des imitations de maisons telles qu'aux Pays-Bas le long des canaux. Comme souvent aux États-Unis, ce sont en réalité des façades en carton posées sur des maisons ordinaires. Lynden n'est pas un cas particulier. À dix kilomètres de là, on trouve une réplique d'un village montagnard suisse, et au bord de l'océan, des Norvégiens vivent dans une communauté de pêcheurs reconstituée. La confrontation avec les archétypes néerlandais à Lynden permet de réaliser pleinement quelles sont les icônes de l'architecture des Plats Pays, des icônes qui sont copiées à l'infini. On les trouve sous forme de petits flacons de genièvre à bord des avions de la | |
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Zaans huisje.
KLM, mais aussi dans des parcs d'attractions en Chine: moulins, ponts-levis, canaux, pignons à redans, ... Il est frappant de constater qu'on ne trouve de tels archétypes qu'à l'autre bout du monde, et jamais dans le pays d'origine. En Belgique, personne n'aurait l'idée de reproduire les quais de Gand ou le palais royal de Laeken. Aux Pays-Bas, cette approche a longtemps relevé du tabou: la ceinture de canaux d'Amsterdam était et est toujours un exercice urbanistique unique. Au xxe siècle, l'heure du modernisme avait sonné. Pas besoin de faire dans l'extravagance, estimait-on, l'approche ordinaire est déjà suffisamment extravagante comme cela. Mais les temps changent. À présent que le diktat du modernisme a disparu, on voit apparaître çà et là, aux Pays-Bas (en particulier dans les quartiers dits Vinex, des lieux dédiés aux nouvelles constructions en masse, situés généralement en périphérie des villes), des canaux et des imitations de maisons traditionnelles. Là aussi, c'est une évolution qui peut se comprendre. Dans les nouveaux quartiers résidentiels, en particulier ceux érigés dans les tourbières, il manque quelques points de repère. Comme les habitants travaillent ailleurs, ils ressentent le besoin de trouver un environnement qui leur soit familier, de saisir une bribe du passé. Les imitations de maisons bordant les canaux et de fermes d'antan étanchent leur soif de nostalgieGa naar eind1. Un autre élément emblématique est la Zaans huisje, la traditionnelle maisonnette en bois bleue ou verte qu'on trouve dans la région du Zaan (dans la province de Hollande-Septentrionale, tout près d'Amsterdam), où le sol est tellement marécageux qu'il est impossible d'y construire en dur. Dans les marais qui bordent la rivière Zaan, il n'est pas possible de procéder au battage de pieux: les maisons reposent généralement sur une plaque en béton (autrefois sur des peaux de vaches). La région qui entoure la ville de Zaandam est la plus ancienne zone industrielle des Pays-Bas. Elle héberge des rizeries, des fabriques de cacao et des scieries. Au xviiie siècle, de passage dans la région, le tsar Pierre le Grand fut tellement enthousiaste en découvrant ce centre industriel et son architecture particulière qu'il s'en inspira lors de la construction de Saint-Pétersbourg, l'une des premières répliques de la ceinture de canaux. | |
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Zaandam a perdu beaucoup de son charme suite à une approche peu respectueuse du centre-ville dans les années 1960 et 1970. Des canaux ont été comblés, des usines ont été fermées et l'aménagement d'axes routiers a brisé le tracé originel des rues. Les quelques maisons en bois qui avaient survécu au massacre semblaient des reliques hébétées d'une gloire révolue. Elles étaient en outre écrasées par l'ombre des colosses en béton abritant les bureaux du grand distributeur Albert Heijn et de la Rabobank. À cet égard, Zaandam ressemble à d'autres villes postindustrielles, comme Tilburg (dans le sud des Pays-Bas) et Enschede (dans l'est) qui ne savent trop que faire de l'héritage d'un passé industriel révolu. Des espaces vides tout autour du centre-ville suscitent un sentiment d'inhospitalité. On comprend dès lors que la commune de Zaandam ait fait appel aux services du ‘médecin’ urbanistique néerlandais par excellence, Sjoerd Soeters (o 1947) du bureau Soeters en Van Eldonk Architecten. Ce bureau s'est fait un nom en réparant des centres-villes saccagés ou des tissus urbains en mal de croissance. En réalisant une percée du quartier de Mariënburg à Nimègue, le bureau remporta divers prix pour avoir créé une jonction intelligente et agréable entre une place oubliée dans la partie est de la ville et une rue commerçante fort fréquentée. Nootdorp, un village proche de La Haye, chargea l'architecte de transformer son ancien hippodrome en un centre commercial, avec des habitations aménagées dans une rue intérieure en surplomb. Dans les deux cas, il s'agit d'une architecture historiciste qui se démarque en outre par de jolis détails: broderies intégrées dans la maçonnerie, façades soignées, ... autant d'éléments qui doivent offrir aux habitants le sentiment familier qu'ils avaient perdu au fil de l'urbanisation. | |
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![]() L'hôtel Inntel.
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Une transformation XLComme Zaandam semblait avoir perdu son identité, Soeters conçut un plan ingénieux. Il proposa d'habiller les bords de la zone piétonne entre la gare et le Dam (la place centrale) de maisons traditionnelles. Mais au lieu de recourir aux minuscules maisons de l'époque de Pierre le Grand, l'architecte les imagina dix fois plus grandes. La ville de Zaandam fut directement séduite par cette proposition. Urbanisme et architecture devaient se fondre en un ensemble cohérent, de part et d'autre du Gedempte Gracht. Ce canal, qui avait été comblé au fil du temps, a été rouvert pour que les édifices puissent s'y refléter. Comme on le voit à Amsterdam et à Bruges, c'est un élément incontournable lorsqu'on veut combiner aménagement urbain et effet pittoresque. Les architectes devaient respecter le master plan de Soeters à la lettre. S'ils n'étaient pas tenus de copier les maisons traditionnelles jusque dans les moindres détails, ils devaient en respecter l'esprit, et de préférence les matériaux et les couleurs: ils devaient donc les concevoir en bois, et dans les couleurs bleue et verte. Le sommet de cet hommage rendu au passé est l'hôtel Inntel de Winfried van Winden, dont la cote de popularité dépasse sans doute celle du Zaanse Schans (un quartier pittoresque de la vieille ville). Van Winden a rassemblé tous les styles de construction et toutes les formes de décoration de la région dans un bloc de bois qui fait ressembler à une centrale nucléaire japonaise l'immeuble de la Rabobank, située à proximité. Les touristes étrangers affluent en masse, et ceux qui ont le temps prennent dans cet hôtel l'une des chambres stylées qui, elles aussi, sont inspirées des intérieurs traditionnels da la région du Zaan. Ils y trouvent des tentures à fleurs, des rideaux au crochet qui arrêtent les regards indiscrets et, bien entendu, une alcôve. En fait, Van Winden n'a rien fait d'autre que superposer une douzaine de maisons traditionnelles et les imbriquer l'une dans l'autre. Nous reconnaissons bien entendu les boiseries, mais aussi la corniche qui orne la ligne faîtière et l'épi de faîtage en forme de cygne ou de girouette. | |
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![]() Le Gedempte Gracht.
La gare, un édifice brut de la période high-tech des années 1980, est camouflée par des gigantesques maisons à toit pentu. Ici aussi, on voit des toits à tuiles rouges qui offrent un saisissant contraste avec le vert vif des façades. On ne critiquera sans doute pas tant l'ampleur des édifices que le boisage. Les planches synthétiques ont un effet lissant, contrairement au bois naturel. Bien entendu, elles sont plus faciles à entretenir car il n'est pas nécessaire de les peindre, mais il leur manque les nervures du bois qui captent la lumière de si belle manière. La principale intervention effectuée par Soeters concerne la circulation routière. Lorsqu'on quitte la gare, on descend en direction du centre en empruntant un axe très légèrement incliné. Plus besoin désormais d'attendre de longues minutes aux feux de la chaussée provinciale qui longe la gare. Et le Gedempte Gracht a été transformé en une agréable zone piétonne grâce à un rapport correct entre l'espace public et la surface bâtie. Quoi qu'il en soit, l'architecture de Zaandam est à classer dans la catégorie ‘riez ou je tire’ (Laugh or I'll Shoot), basée sur la recherche de l'effet rapide que l'on rencontre dans certaines séries télévisées. Mais combien de temps une plaisanterie fait-elle de l'effet? À Dubaï ou Las Vegas, la question n'a pas d'importance car il s'agit là d'édifices plantés dans le sable, où les visiteurs ne viennent que pour se divertir. Le Taj Mahal et la pyramide érigée à Dubaï n'ont d'autre ambition. Il en va autrement lorsqu'on admet les copies et qu'on les agrandit dans une petite ville historique comme Zaandam. On s'en lasse vite. Le rire s'éteint lentement une fois qu'on a saisi le double fond de la plaisanterie... Pourtant, l'intervention dont a fait l'objet Zaandam peut aussi être perçue sous un jour positif: la ville a ainsi redoré son image et donné un second souffle à son centre. Les habitants peuvent de nouveau être fiers de leur ville - on en veut pour preuve la fierté qu'ils manifestent à l'égard de la plus grande succursale de l'enseigne HEMA qui a élu domicile dans l'un des nouveaux bâtiments commerciaux. Il faudra s'habituer à l'idée qu'un centre est construit pour durer 30 ans - pas plus - avant d'être restauré ou modifié. Des villes comme Amsterdam et | |
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Bruges n'ont pas besoin de se faire à une telle idée, car voilà des siècles qu'elles font l'objet des soins les plus attentifs. Pour les centres-villes nouveaux ou gâchés, il n'y a pas d'autre issue qu'une transformation XL, à condition qu'elle fasse preuve de caractère. Jaap Huisman |