Le Médecin ou Du pays, Le Négociant ou Du commerce ... Ceci étant, ce mélange de notes, observations, anecdotes et données factuelles peut encore amuser, voire donner une impression de la vie aux Pays-Bas avant la monarchie de 1813. En outre, il résume les reportages de maint voyage philosophique du xviiie siècle. Certains sujets sur lesquels il revient souvent, les impôts élevés, le coût du travail et le peu de distance entre gens des différentes classes sociales, intriguent toujours.
Diderot propose à la France ‘le modèle hollandais moins le stathoudérat’. Il assimile cette dernière institution, devenue héréditaire en 1747, à la monarchie. Il appelle les États Généraux ‘une des plus solennelles et des plus augustes assemblées qu'il y ait au monde. ... c'est là qu'on voit des commerçants, des bourgeois prendre le ton imposant et l'air majestueux des rois.’ Sans autre discussion, il accepte le caractère oligarchique de la République, où seuls les propriétaires ont le droit de vote. ‘Un commettant (= électeur) est toujours un grand propriétaire. Cela me paraît juste, l'intérêt personnel étant toujours la mesure du sentiment patriotique.’ Le bourgeois Diderot ne fait jamais allusion aux angoisses du peuple face à cette situation ni aux débats à ce sujet.
À l'instar des économistes libéraux de son pays, il préconisait un commerce totalement libre, une économie du marché sans entraves. C'est dans cette perspective qu'il convient de lire des réflexions telles que ‘Si l'on y réfléchit avec attention, on s'apercevra que le gouvernement le plus voisin de la pure démocratie est celui qui convient le mieux à un peuple commerçant dont la prospérité dépend de la plus grande liberté dans ses opérations. Personne n'entend mieux l'intérêt d'un négociant que lui-même; au moment où quelque autorité se mêle de le diriger ou par des leçons ou par des lois, tout est perdu.’ N'a-t-il pas remarqué que lors de son séjour toutes les prémices d'une crise étaient déjà présentes? Par exemple les 30 000 chômeurs dans la ville de Leyde, où les fabriques fermaient les unes après les autres depuis 1772? Il évoque seulement que les ouvriers néerlandais coûtent cher et sont paresseux. Il constate que, effectivement, il y avait peu de mendiants et peu de criminels, qu'on s'occupait bien des malades. Heureusement, ‘les crimes sont d'autant plus rares qu'il y a moins de misère.’ Par rapport à l'importante immigration, il remarque: ‘Naturellement, le pays n'est pas trop habitable; cependant il n'y a guère au monde de plus riche et de plus peuplé relativement à son étendue, effet de l'industrie, de l'activité, du travail assidu et de l'amour du gain’. ‘Ici les villes, les bourgs et les villages se touchent et la population s'en accroît sans cesse. Les républiques se recrutent aux dépens des monarchies.’ Le fait que seul les réformés sont admis dans
l'administration de la République ne choque pas Diderot, vu que les autres religions sont tolérées. ‘La nation est superstitieuse, ennemie de la philosophie et de la liberté de pensée en matière de religion; cependant on ne persécute jamais.’
Vers la fin du livre le ton de Diderot semble se libérer. Parfois, il est drôle et ouvert, avoue douter de ses propres observations par rapport à ses notes de lecture. ‘La corruption des moeurs fait des progrès, elle marche d'un même pas avec le luxe et la richesse; elle s'accélère par deux causes, un commerce habituel avec l'étranger et le séjour des militaires.’ En ce qui concerne le théâtre populaire, il voit juste: ‘Les pièces faites pour le peuple, qu'il faut amuser, sont ordurières. Attendez-vous à ce vice dans toutes les démocraties...’.
Sans l'étude d'Yves Benot, je n'aurais pas soupçonné la présence de tant de plagiat, donc cela n'aurait pu m'irriter. En revanche, je ne suis pas certaine que j'aurais pu suivre le cahin-caha et les énumérations jusqu'à la fin sans les notes de bas de page. Il est tout à fait probable que les pairs de Diderot n'auraient pas apprécié le nombre de passages grossièrement recopiés sans référence aux sources. Est-ce la vraie raison pour laquelle ce texte a été édité si tardivement et si rarement?
dorien kouijzer
DENIS DIDEROT, Voyage en Hollande, avec une introduction d'Yves Benot, collection La Découverte poche / Littérature et voyage, n o 383, Paris, 2013, 170 p. (ISBN 978 2 70717 54 27).