Septentrion. Jaargang 42
(2013)– [tijdschrift] Septentrion–
[pagina 76]
| |
LittératureTout embrasser: l'art romanesque de A.F.Th. van der HeijdenEn mai 2013, le prix PC Hooft de prose narrative, l'un des prix littéraires les plus prestigieux du monde néerlandophone, a été remis à A.F.Th. van der Heijden (o 1951). Cette reconnaissance ne prêta guère à controverse tant le lauréat compte depuis longtemps parmi les romanciers néerlandais les plus impressionnants et les plus prolifiques. Sa notoriété est d'ailleurs telle que les médias parlent de lui en n'utilisant que les initiales de son prénom, en particulier depuis qu'il a signé de cette manière le début de son dernier cycle romanesque, Homo duplex. Il affiche des ambitions prométhéennes. Peu satisfait de deux ou trois romans réussis, il poursuit une tâche qu'il qualifie lui-même d'impossible - un qualificatif difficile à cerner. Il s'agit d'un univers romanesque que l'on peut, toutes proportions gardées, comparer avec La Comédie humaine de Balzac ou À la recherche du temps perdu de Proust. Il combine un système interne des plus denses, des plus complexes, avec des ambitions réalistes et philosophiques extrêmes. Cette volonté vertigineuse de tout embrasser réclame une dimension tout aussi vertigineuse, tant dans l'écriture de chaque livre qu'à l'échelle du cycle. Il est logique que des projets de cette envergure ne puissent être menés à bonne fin que de manière approchée par cet auteur qui allie une discipline monacale à un capital conceptuel quasiment surhumain. Dans le studio où il travaille à Amsterdam, Van der Heijden a des classeurs de documentation pour chaque titre - avec des schémas de fond, et d'autres temporels et de développement qui dépassent les titres; il doit y avoir dans l'esprit de l'écrivain une gigantesque base de données doublée d'une machine à coupler les choses, d'une capacité à faire pâlir celle d'un ordinateur. L'auteur travaille sans cette machine magique qui est en même temps le plus gros destructeur de mémoire - la propriété la plus précieuse pour un auteur comme lui. Contrairement à ce que cette description pourrait donner à penser, il serait erroné de s'attendre à trouver des livres de laboratoire, froids, schématiques et coupés du monde. Ce qui est formidable, c'est que ces livres semblent recommencer à chaque ligne, comme si l'auteur s'étonnait lui-même des possibilités qu'un passage semble offrir au moment précis où il se transmue en écrit. Et il en est probablement bien ainsi. Aucun écrivain ne dispose d'une plume aussi vitale, d'une aptitude aussi inusable à faire appel à des détails sensoriels et en même temps à tisser des métaphores originales. S'il est une chose à lui reprocher, c'est sa constante propension à la démesure. Chez Van der Heijden, chaque nouvelle situation est exploitée indéfiniment avec de nouveaux détails, des idées adjacentes que, bien souvent, on ne comprendra que plusieurs livres plus tard. Cela ne rend pas toujours claire la progression de la narration et demande au lecteur une concentration dans la durée, une bonne dose de patience et une mémoire d'éléphant. La série qui vaut tant de succès à l'auteur, De tandeloze tijd (Le Temps édenté)Ga naar eind1, dont le premier livre a paru en 1983, n'est toujours pas achevée à ce jour. Cette lenteur est voulue. Le personnage central de De tandeloze tijd, Albert Egberts, a beaucoup en commun avec son auteur. Né en 1952, un an après son père spirituel, il a grandi durant les moroses années de l'après-guerre dans une famille à problèmes, dans le Brabant, est parti étudier à Nimègue, puis s'est établi dans la bouillonnante capitale, où les années 1970 et 1980, on le sait, n'avaient rien d'un long fleuve tranquille. Le titre du cycle renvoie entre autres au désir paradoxal de vivre pleinement les remous du monde, sans que ceux-ci ‘ne vous corrodent ou ne vous dévorent’, ainsi que l'auteur l'exprime dans Vallende ouders (Des parents en chute libre), la première partie du cycle: ‘je préfére que le temps passe sans me mordre’. La réalité de la vie se charge naturellement de frustrer ce désir, mais celui-ci devient ensuite, dans l'oeuvre de l'écrivain, la source d'une imagination qui va déferler et - sous la forme d'une grande oeuvre artistique - réussir à édenter le temps. L'auteur apprivoise le temps, il épuise la | |
[pagina 77]
| |
![]() A.F.Th. Van der Heijden, photo Kl. Koppe.
progression linéaire en poursuivant ce qu'il appelle ‘la vie dans sa largeur’, l'épuisement horizontal jusqu'à l'infinité de chaque instant. Il débusque les malheurs, la misère, la vanité de la vie jusque dans les détails les plus invraisemblables, mais refond le tout après coup, selon le passage souvent cité du Gevarendriehoek (Le Triangle de présignalisation), tome deux, ‘en quelque chose de beau, qui en même temps recèle en soi - en plus fort - le souvenir de l'horreur’. En 2003 A.F.Th. a entamé un nouveau cycle, Homo duplex, encore plus ambitieux, si la chose est possible, que De tandeloze tijd. Le second tome, Het schervengericht (L'Ostracisme)Ga naar eind2, est celui qui a eu le plus de retentissement à ce jour. Il compte 1 051 pages et son action, située dans un pénitencier américain, retrace librement la rencontre imaginaire entre Charles Manson, meurtrier de Sharon Tate, et le metteur en scène Roman Polanski. Mais Van der Heijden connut en 2010 un malheur qui le contraignit à suspendre l'écriture de cet opus: un accident de la route coûta en effet la vie à son fils Tonio, alors âgé de 21 ans, et lui inspira un roman déchirant. La manière dont cet événement influencera son écriture ne pourra manquer de transparaître dans différents livres qu'il a annoncés. Plus que jamais, les Pays-Bas et la Flandre littéraires retiennent leur souffle. cyrille offermans |