Septentrion. Jaargang 42
(2013)– [tijdschrift] Septentrion–MusiqueGrandeur minimaliste: ‘Balthazar’‘Les Flamands osent’, proclamait, dans Libération, le 26 novembre 2012, le titre d'un article consacré à une nouvelle vague de musique rock alternative flamande. Le même jour, l'un des groupes mentionnés, Balthazar, se produisait devant un public de 1 500 Français enthousiastes dans la salle de concert parisienne La Cigale. Un journaliste flamand présent faisait état d'un ‘moment charnière’ et prédisait un avenir international pour le groupe. Exagérait-il? À peine: la presse musicale belge dans son ensemble (ainsi qu'une partie de la presse musicale néerlandaise) inscrit le deuxième CD de Balthazar, Rats (Rats), au top de ses listes des meilleurs albums de 2012. Libération partage cette opinion et va même jusqu'à propulser le groupe ‘au premier plan de la scène européenne avec un rock de standing (...) au dolorisme exquisément lancinant’. Balthazar est l'un des centaines de groupes rock ayant surgi dans le paysage musical flamand riche, presque sursaturé, et rêvant de conquérir l'étranger. Pourquoi ce groupe-là précisément fait-il vibrer une corde sensible? L'histoire de Balthazar commença en 2004 dans une rue commerçante de Courtrai où les teenagers Maarten Devoldere et Patricia Vanneste jouaient ensemble sur le trottoir et où un autre ado, Jinte Deprez, se produisait aussi, tout seul. Le trio a conjugué ses énergies puis formé un groupe rock avec Joachim Quartier et Koen Verfaillie (remplacés entre-temps par Simon Casier et Christophe Claeys), et ensuite les choses se sont précipitées. En 2005 ils se firent remarquer en participant à un concours artistique. La même année ils remportèrent un concours musical régional, puis, surtout, en 2006 ils obtinrent le prix du public lors du Rock Rally organisé par l'hebdomadaire Humo, le principal tremplin pour de jeunes rockers en Flandre. Une carrière éclair semblait s'annoncer, mais Balthazar décida délibérément de descendre du train rapide: leur premier album Applause sortit en | |
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2010 seulement. L'intervalle de ces quatre ans - une éternité dans le monde de la musique pop -, les cinq jeunes le mirent à profit pour acquérir de l'expérience sur les podiums et élaborer une sonorité propre. Ils ont tâté de tout: du folk, de la dance (comme sur leur premier single This Is a Flirt), du pop avec des variations et fioritures artistiques (le deuxième single Bathroom Lovin: Situation) et même du hiphop. Entre-temps les deux chanteurs de Balthazar, Devoldere et Deprez, étudièrent la production musicale à Gand, où ils avaient l'opportunité de couler leurs idées musicales dans des exécutions optimales. Le premier CD de Balthazar, Applause, produit par Devoldere et Deprez, se présente dès lors comme un résultat exceptionnellement mature pour un début. Que les deux singles prénommés, qui avaient pourtant fait un tabac à la radio et s'avéraient des valeurs sûres et indispensables lors des concerts en public, n'aient pas été retenus pour le CD Applause est caractéristique de l'opiniâtreté et de l'évolution du groupe. ‘Ces numéros ne s'accordent plus avec ce que nous sommes aujourd'hui’, telle était l'explication toute simple. Applause ne comporte pas la pléthore d'idées par laquelle nombre de jeunes groupes s'efforcent de faire impression mais présente des chansons réduites à leur pure essence. Des mélodies claires sous-tendues par des rythmes minimalistes dansants que vient perturber agréablement de temps à autre un violon grinçant ou un piano contrariant. Cette sobriété intrigue l'auditeur et met à l'épreuve la presse musicale: alors que, s'agissant de jeunes groupes, les critiques agitent en règle générale des références à d'autres groupes, ils jugeaient en l'occurrence ce premier album principalement sur ses propres mérites. À propos de Balthazar on évoque souvent des contrastes: des chansons complexes mais qui ne semblent guère compliquées; une sonorité qui semble familière mais que l'on n'arrive pas tout à fait à situer exactement; des mélodies où résonnent simultanément l'euphorie et une certaine tristesse; des chansons cool d'où irradie une ardeur; une musique mélancolique et simultanément charmante... Bref, pour son premier CD, Balthazar a su trouver une sonorité spécifique, unique, qui louvoie entre du pop artistique et du rock dansant![]() et se maintient parfaitement lors des concerts live. Sur le podium, Balthazar se révèle un groupe cassecou, une solide machine groove combinant nonchalance et précision. Le CD Applause a bénéficié d'un accueil des plus chaleureux (un Music Industry Award en Belgique pour le meilleur album, des mentions dans nombre de listes de fin d'année) et le groupe s'est de nouveau vu emporté par une accélération. Balthazar a conclu un contrat de disques européen à la suite duquel son premier CD s'est retrouvé dans les rayonnages de magasins en France, en Allemagne et dans les pays scandinaves. En 2011, le groupe a également effectué une tournée dans ces pays, soit en jouant cavalier seul, soit en levée du rideau du principal produit d'exportation belge en matière de rock: dEUSGa naar eind1, dont il a par ailleurs adopté le manager expérimenté. Les attentes concernant Balthazar étaient particulièrement grandes, mais le groupe a parfaitement su y répondre avec son deuxième album Rats en 2012. Cette fois-ci, l'opiniâtreté résidait notamment dans les lieux insolites où le groupe l'avait réalisé: des enregistrements s'étaient déroulés dans des caves, dans des chambres à coucher et dans le métro bruxellois. Celui qui écoute attentivement - un casque d'écoute révèle encore davantage de richesses - perçoit même des sifflements d'oiseaux et des hennissements de cheval. | |
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Autant le premier CD de Balthazar se soustrayait à des comparaisons, autant Rats dénote clairement des influences: Bob Dylan, Leonard Cohen et Serge Gainsbourg. Il s'agit d'influences étonnamment classiques pour un groupe si jeune, qui déclare par ailleurs qu'il n'écoute pas souvent d'autres musiques, mais elles expliquent en grande partie l'intemporalité propre à Balthazar. Ces trois influences culminent dans Sinking Ship et The Man Who Owns the Place, les titres couronnés de Rats. Devoldere chante de manière très expressive, comme en traînant (Cohen); ses textes fascinent, même s'ils sont assez hermétiques (Dylan); la basse et la batterie imposent un rythme apparemment calme et fluide mais en fin de compte contraignant (Gainsbourg). Dans Rats, Balthazar excelle à nouveau par la sobriété: les sons dégagent un air spartiate plus prononcé encore que dans le premier CD, plus de place encore est réservée au silence entre les notes. Le rythme aussi, qui dans Applause peut encore éclater dans toutes les directions, y est bridé. Balthazar joue lentement, marque le pas, soulignant par là encore davantage les mélodies et les grooves poussés à l'extrême. Ce qui à la première écoute semble monotone s'avère infiniment subtil... Précisément parce que Rats s'est débarrassé de tout poids mort, le CD captive toujours, même lorsqu'on l'a écouté à plusieurs reprises. Chaque accord de guitare, glissement de mélodie ou changement de tempo acquiert de la sorte une signification particulière. Il s'agit là d'une approche audacieuse - Libération s'en était rendu compte -, mais ce qui importe avant tout, c'est que cela fonctionne. Tous ces éléments confèrent aux numéros de Balthazar une classe désinvolte et créent un effet qui se laisse uniquement définir sous forme de paradoxe: une grandeur minimaliste. pieter coupé |
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