seconde moitié du xixe siècle, de riches banquiers et industriels américains se mirent, eux aussi, a investir dans l'art européen. Des hommes d'affaires connus, tels J. Pierpont Morgan et Henri Clay Frick, passionnés pour le marché de l'art européen, y achetaient régulièrement leurs oeuvres favorites, les soufflant ainsi aux acheteurs hollandais dotés d'un pouvoir d'achat plus modeste. Par le biais des collectionneurs privés une partie importante des tableaux finit par entrer dans les musées.
Le premier étage du Mauritshuis (restauré depuis peu) abritait une exposition documentaire montrant comment on en était venu à découvrir et à collectionner les toiles des peintres hollandais. En haut de l'escalier menant au deuxième étage, point de départ de l'exposition proprement dite, on se trouvait face à face avec le portrait de Joris de Caulerij peint par Rembrandt. La toile occupait cette place centrale, sans doute parce qu'elle fut l'une des premières du maître à avoir débarqué en Amérique. De Caulerij fut en outre contemporain du fondateur du Mauritshuis et, probablement, témoin de la construction de l'édifice. Ajoutons à cela - détail assez piquant - qu'il fut aussi ‘cappiteyn te water ten dienste der vereenichde Nederlanden’ (capitaine de vaisseau au service des Pays-Bas réunis). L'emplacement des autres tableaux, accrochés dans les divers cabinets, semblait moins heureux. Des oeuvres d'époques, de styles et de genres distincts y voisinaient pêle-mêle.
Le deuxième cabinet réunissait quelques tableaux de Jan Steen (1623 / 26-1679), dont le ‘couple dansant près de l'auberge’, entré par trois fois déjà dans de célèbres collections privées. Jan Steen s'y est probablement représenté luimême en compagnie de sa femme Grietje van Goyen, au beau milieu d'une joyeuse bande. L'enfant qui se tient derrière le couple assis, à droite, s'amuse à faire des bulles de savon, message prémonitoire si caractéristique de nombreuses scènes de genre du xviesiècle: l'existence humaine est tout aussi fragile et éphémère qu'une bulle de savon.
Le catalogue somptueusement illustré retrace par le menu toutes les étapes parcourues par les tableaux avant leur entrée dans les collections américaines dont ils font actuellement partie. Sous la direction de Ben Broos, conservateur en chef du Mauritshuis, l'histoire de chaque toile y est minutieusement reconstituée. ‘Bien que dans la plupart des catalogues elle ne soit mentionnée que sous la forme d'une simple énumération de faits, l'histoire d'un tableau offresouvent matière a récit circonstancié’, fait observer Ben Broos (p. 123). Cet intérêt porté à la genèse des toiles ouvre pour la recherche sur l'art du xviie siècle des perspectives nouvelles. L'histoire de Danaé, tableau peint par Goltzius, est à cet égard significatif. Jusqu'en 1777, cette peinture fit partie de diverses collections amstellodamoises, pour disparaître ensuite, en Europe de l'Est probablement. Vers 1900 elle fit une brève réapparition dans une galerie parisienne pour s'éclipser de nouveau, apparemment sans avoir trouvé acquéreur. En 1984, on retrouva la toile, laissée à l'abandon, dans un entrepôt désaffecté de Los Angeles, après quoi elle fut, définitivement, transférée au Los Angeles County Museum of Art.
Visiblement peu affectés par leurs longues errances, tous les tableaux avaient bonne mine. Soucieux de maintenir cette bonne condition, les organisateurs de l'exposition avaient pris soin d'installer chaque tableau derrière un écran de verre.
L'exposition valait sans aucun doute le voyage, compte tenu du peu de chances de revoir un jour toutes ces toiles dispersées à travers les collections américaines. Le connaisseur et le vrai amateur en auront été les principaux bénéficiaires. Forts de leurs connaissances personnelles sur le sujet et de l'information fournie par un catalogue exceptionnel, ils auront pu regarder les tableaux d'un oeil nouveau. ■
Ingeborg Walinga
(Tr. U. Dewaele)
ben broos, Hollandse meesters in Amerika (Maîtres hollandais en Amérique), Waanders, Zwolle, 1990.