Cinéma
Paul Verhoeven et ‘Total Recall’
Paul Verhoeven (o1938) est un cinéaste néerlandais respecté plutôt qu'apprécié. Aux Pays-Bas, personne ne démentira qu'il est un bon, voire un excellent professionnel. Mais ses rapports avec la notion d'‘art’ sont plutôt tendus. Ce qui est curieux, c'est qu'aux États-Unis, le pays où plus qu'il le fit jamais dans son pays d'origine il s'applique au cinéma commercial, ses films sont projetés dans le circuit artbouse, c'est-à-dire plus ou moins cinéphile. Ses films les plus personnels, c'est aux Pays-Bas qu'il les a réalisés, mais il y passe, aux yeux de beaucoup, pour un opportuniste, un unique, un homme qui exploite des effets scabreux, et le sexe en tout premier lieu.
Paul Verhoeven, à qui les Nederlandse Filmdagen (Journées cinématographiques néerlandaises) de 1987 à Utrecht consacrèrent une rétrospective et dont le film de science-fiction Robocop obtint en cette même année un franc succès aussi bien en Amérique que dans son propre pays, a été chassé des Pays-Bas, et rien ne semble indiquer qu'il y bénéficie jamais d'un accueil chaleureux.
Voilà à peu près trente ans qu'il tourne des films, et sa carrière vient à peine de commencer aux États-Unis, où en fait il ne voulait pas s'établir parce que l'industrie holywoodienne lui semblait trop rude.
A Robocop succède maintenant le fracassant succès de Total Recall, un nouveau spectacle de science-fiction, et le prochain sera le thriller surnaturel Warriors. Tout semble maintenant sourire au régisseur, qui, en véritable enfant terrible, adore provoquer. ‘J'adore enquiquiner’, confiait-il un jour dans une interview. ‘A l'école secondaire, nous avions un petit jeu. On frappait dans une petite balle de papier entourée d'élastique. Tout le monde faisait de son mieux pour faire en sorte que la petite balle reste en l'air, mais moi, je préférais l'envoyer sur le toit, de sorte que l'on ne pouvait plus jouer. Cela fait apparemment partie de ma personnalité. Et, bien sûr, cela ressort très nettement de mes films’.
Dans un pays où l'on ne cesse de parler du film ‘artistique’, Verhoeven s'est exprimé, il y a belle lurette déjà, de manière assez dénigrante sur l'art cinématographique. Et pour lui, l'‘art’ se situe là où le réalisme perd de sa vigueur en raison de la ‘vision du régisseur’. ‘La Vision, il vaut mieux la mettre sur un bout de papier. Du moment que l'on peut la désigner, du doigt, cela fait plutôt idiot. On ne peut tout simplement pas désigner la Vie. Ce sont les caractères qui doivent convaincre’.
Le réalisme de Paul Verhoeven lui a valu un large public pour ses films, mais aussi l'hostilité du Produktiefonds voor de Nederlandse Film (Fonds de production du film néerlandais), organisme qui fournit des subsides. Après le succès de Wat zien ik? (Que vois-je, 1971-2,3 millions de spectateurs), Turks fruit (Délices de Turquie, 1973-3,3 millions de spectateurs), Keetje Tippel (Keetje Trottin, 1975-1,8 million de spectateurs) et Soldaat van Oranje (Soldat d'Orange, 1977-1,5 million de spectateurs), il eut maille à partir avec ce fonds pour Spetters (Jolis mômes, 1980), image chargée et rébarbative de jeunes Néerlandais de notre époque présentée de manière fascinante, que l'on qualifia de ‘saleté’ et qui le poussa vers l'Amérique, comme il le reconnut par la suite.
Verhoeven a ses propres idées sur l'art et le réalisme. ‘J'ai pétri de la boue et j'en ai fait de l'or’, écrivit un jour Baudelaire, et dans ses films réalisés dans son propre pays, ce cinéaste néerlandais certes pétrit la ‘boue’ de l'existence humaine. Songeons à ses évocations de la prostitution et de la marginalité dans Wat zien ik? et Keetje Tippel. Il n'a pas encore eu droit à l'or de l'Oscar, bien que Turks fruit, d'après un roman de l'auteur néerlandais Jan Wolkers (o1925), ait été consacré du prix pour le meilleur film non anglophone en 1973. De l'autre côté de l'océan, c'est surtout De vierde man (Le quatrième homme, 1983), d'après le roman d'un autre auteur néerlandais, Gerard Reve (o1923), qui l'a fait remarquer. C'est un film qui tranchait avec la grossièreté et la violence des films précédents, avec son réalisme caractéristique, mais où s'exprimait un autre trait