Échanges
Jacques de Decker: le passeur de cultures
Jacques de Decker (o1945), écrivain belge francophone, homme de théâtre, journaliste et rédacteur culturel au journal Le Soir, compose la figure singulière du passeur, du contrebandier entre les deux cultures, francophone et néerlandophone. Sensible à l'atout incontestable que représente le métissage culturel, il s'est toujours voué au maintien de cet échange, garant du caractère hybride, ambigu de la patrie intellectuelle. Assurant ces interférences sous diverses modalités, création de la première maison d'édition publiant les auteurs flamands, Le Plat Pays, traductions du néerlandais, conférences, suggestion de jury mixte dans les prix littéraires, ce passeur isolé sur le radeau de la mémoire, du tissage d'horizons culturels reconnaît la dette de son engagement envers sa propre histoire personnelle. En raison de la configuration politique en place lors de sa naissance, il est l'un des tout derniers intellectuels francophones d'origine flamande.
Ses seules racines sont flamandes: un type de sensibilité existentielle, d'approche du monde se voit comme inscrit dans la mémoire génétique. Ses études en philologie germanique signèrent ses retrouvailles avec un patrimoine perdu au cours de l'immersion dans la sphère francophone. Ne répugnant pas à se voir nommer ‘een Franstalige Vlaming’ (Un Flamand francophone), Jacques de Decker dès 1960 a ressenti l'urgence de se maintenir à contrecourant de la mouvance du séparatisme politique et d'y faire barrage, de la compenser par un déploiement maximal d'échanges culturels. Il fallait frayer la voie, favoriser ces tressages, ce brassage de deux visions de monde découpées par des langues spécifiques. La collection Le Plat Pays aux Éditions Complexe fut la première initiative depuis la guerre ouverte au mixage culturel, et dont le relais fut ensuite assuré par d'autres. L',idée d'un accord interculturel commence certes à germer, mais l'auteur ne compte pas sur l'institutionnalisation, la structuration de ce genre de démarches, qui, au contraire, risquerait de réduire ces dialogues, ces amorces de communication à une pure aventure de l'esprit isolée de la conjoncture. Le rôle de translateur, de passeur, lui semble occuper actuellement un espace totalement gratuit, étranger à la sensibilité actuelle: l'air du temps dresse un profil d'homme d'État, assignant la parfaite maîtrise des deux langues au rôle d'agent double, de traître, éminemment suspect. ‘Pour moi, cette coloration d'agent double ne me dérange pas du tout, c'est comme une manière de se vivre en merle blanc’, dit J. de Decker. L'auteur insiste cependant sur la modification de visage qu'a subie la
littérature flamande: auparavant, les deux littératures étaient tressées l'une dans l'autre, par exemple, celles de Marcel Thiry et de Johan Daisne (1912-1978). De nos jours, par contre, les auteurs flamands érigent leurs oeuvres sans passer par le prisme francophone. La littérature qui avait pignon sur rue en Flapdre est de nos jours destituée. Marnix Gijsen (1899-1984), trop coulé dans le moule du rationalisme français, n'est plus guère porté au pinacle. Louis Paul Boon (1912-1979), méprisé vers 1950 est