Septentrion. Jaargang 20
(1991)– [tijdschrift] Septentrion–
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dans les salles des ventes et les musées, mais également dans l'industrie du livre et même dans le monde de la musique. Les expositions grandioses de l'année Van Gogh ont été suivies par la représentation d'Un malheureux vêtu de noir, opéra sur le personnage du peintre. L'oeuvre eut sa première à Amsterdam, et fut reprise ensuite par le Vlaamse Opera à Anvers. La musique est du compositeur néerlandais Jan van Vlijmen (o 1935) et le livret, du flamand Johan Thielemans (o 1939). Les auteurs ont tiré le titre de cet opéra d'une lettre de Van Gogh, dans laquelle il cite les mots d'A. de Musset et dans le même temps nous révèle sa propre psyché. Après une visite du Musée de Montpellier (1888), il écrit: ‘Dans le portrait de Delacroix, c'est un monsieur à la barbe et aux cheveux roux, qui te ressemble rudement, ou à moi et qui m'a fait penser à ce poème de Musset: Partout où j'ai touché la terre, Sur ma route est venu s'asseoir, Un malheureux vêtu de noir, Qui me ressemble comme un frère. Il te ferait la même impression, j'en suis sûr’. Il apparaît ainsi de façon évidente que cet opéra en trois actes et neuf scènes ne cherche pas à mettre en images la vie du peintre mais plutôt à exprimer le tragique et le trouble mental du personnage Van Gogh. Dans cette perspective, J. Thielemans s'est limité aux quatre dernières années de la vie de l'artiste: une période que Vincent vécut en France et qui par les crises de folie répétées et les innombrables situations de conflit, constitue l'épisode le plus dramatique de sa vie. Il y décrit surtout la relation tragique entre Vincent, son frère Theo et la femme de ce dernier, Johanna. L auteur s'est d'ailleurs inspiré de l'abondante correspondance entre ces trois personnes, pour composer son livret. Pour la plus grande partie, des citations intégrales, que ce soit en français ou en néerlandais. Ce livret possède une forte coloration dramatique et une profusion de caractérisations psychologiques. La solitude est omniprésente, telle un fil rouge, ou, comme Vincent le notait luimême dans une de ses dernières lettres: ‘Et la tristesse durera toujours’. Du beau théâtre, propre à émouvoir le spectateur! La musique de Jan van Vlijmen n'est pas d'un accès aussi direct que le texte. Elle est atonale et selon le compositeur, traitée de façon dodécaphonique et sérielle. ‘J'utilise les douze tons, mais en y introduisant constament une nouvelle organisation, faisant qu'ils n'y sont pas repris de façon répétitive, mais plutôt exposés: certains tons sont surexposés, d'autres sousexposés. Des centres déterminés, des points d'orientation tonals apparaissent ainsi subtilement’. De par sa conception, la musique se situe dans la lignée de la seconde École viennoise. Le chant est essentiellement syllabique, ne comporte que peu de mélodie et progresse souvent par bonds. Il s'agit donc de ‘Sprechgesang’, de chant parlé, assez difficile à produire pour les solistes. Dans l'ensemble instrumental d'environ 20 musiciens, les instruments à vent jouent le premier rôle, bien que le violon apporte une coloration importante à maintes reprises. Il est le symbole de la solitude et de la mort menaçante. Au départ, la partition instrumentale est dense et le contrepoint élaboré: d'un côté, elle en devient assez envahissante, mais de l'autre, elle rend bien la schizophrénie dont souffre le peintre à cette époque. Par la suite, l'écriture semble se faire plus transparente, à moins que, s'habituant à ce style, l'auditeur n'apprécie de plus en plus la musique. Les moments les plus prenants sont certainement les passages purement instrumentaux entre les tableaux. Ces passages renforcent l'action dramatique de la scène passée et donnent parfois une introduction oppressante à la suivante. La représentation et l'exécution ont été soignées, même si l'auditeur éprouvait parfois des difficultés à comprendre le texte mot par mot. Le metteur en scène et décorateur Axel Manthey nous a présenté une scène presque nue. Les lieux et l'atmosphère étaient généralement suggérés par un impressionnant panneau carré représentant entre autres un détail agrandi d'une toile de l'artiste ou un élément de décor stylisé. La chaise très agrandie du célèbre tableau Vincents stoel met de pijp (La chaise et la pipe, l888) donnait une impression d'angoisse hallucinante à l'une des dernières scènes. Les quatre solistes nous donnèrent une exécution absolument exemplaire des parties vocales. Chacun d'entre eux campait d'ailleurs un personnage crédible: W. Oosterkamp, un docteur quelque peu caricatural, S. Kleindienst, une épouse sensible, D. Pittman-Jennings, un Vincent tourmenté et D. de Mey, un Theo bouleversé. Ils bénéficiaient de l'excellent accompagnement du Schönberg Ensemble sous la direction de Reinbert de Leeuw. Un malheureux vêtu de noir est un bel exemple de théâtre musical contemporain. Le livret en est compact et possède une dynamique dramatique. La musique porte également une forte émotion dramatique, mais celle-ci n'est pas aussi facilement et spontanément décelable dans les premières pages. Cet opéra nous a été présenté comme du théâtre musical contemporain, dépouillé de toute grandiloquence et de toute ornementation extérieure. Du théâtre musical qui met l'accent, grâce au décor, à la mise en scène et au jeu des personnages, sur l'aspect tragique de la relation de symbiose entre les deux frères au milieu desquels évolue la femme de Theo qui ne se doute de rien. ‘Chacun sait que Vincent devait succomber à cette relation, mais on oublie trop souvent que Theo, après la mort de son frère, en fut la victime également. Cet opéra veut raconter une histoire dans laquelle l'amour, l'incompréhension et les malentendus conduisent à la mort’ (J. Thielemans). L'auteur, le compositeur et le metteur en scène ont atteint leur but. Le spectateur (et auditeur) gardera en mémoire des scènes fascinantes nous montrant l'asile et les patients qui mettent en pièces les toi- | |
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les de Van Gogh ou le paysage oppressant dans lequel Vincent se bat avec les corbeaux. Non, l'opéra contemporain est loin d'être mort! ■ Hugo Heughebaert (Tr. W. van den Beul) |
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