l'auteur flamand, qui se nomme plaisamment le ‘chevalier du Nord’ du ‘roi René’.
Quitter la Belgique: le premier mouvement est donc celui de l'émigration. Le rejet du pays natal s'exprime avec une vigueur peu commune parfois: ‘Je me sens trompé (...) et donc humilié et menacé. Trompé: comment, par qui, par quoi? Ne me faites pas donner dans ce piège, cette décision, ce voyage, je veux soigneusement les préserver de toute rancune, de tout fait divers, de toute bassesse (...) Je n'arrive plus à m'y faire, c'est tout. La patrie, toute patrie est une prison’. Le thème de l'Égypte: une société immobile, qui se refuse à accepter la présence de la pensée. On pourrait espérer que la dimension européenne ouvrirait l'horizon, mais non: ‘Limites et limitations vous délimitent votre origine et c'est ainsi donc que vous allez aux quatre vents, en vous disant: mon pays est une province étriquée, désuète’. Dans un admirable mais poignant hommage à son ami disparu le peintre Jef Verheyen (1932-1984), Michiels lance celui-ci dans une diatribe contre le pays d'origine, avec toute la hargne qui le caractérisait parfois, mais lui non plus n'arrive pas à décider de se taire pour de bon.
Ce n'est toutefois pas le rejet d'une Belgique toute baudelairienne qui forme l'énergie du projet vauclusien. Le départ est vécu comme une renaissance, mais la vie nouvelle que celle-ci inaugure revalorise le pays dont on émigre. Michiels transforme la Flandre en littérature d'un point de vue vauclusien: il s'agira donc d'une autre réalité géographique, beaucoup plus étendue. ‘Ce pays. Où j'ai vécu, où je vis toujours. Un immense jardin, c'est ainsi que je me le représente (...) Mon jardin, je lui ai donné le nom du pays où je suis né, Flandre (...) Ce nom n'est pas toujours exact du point de vue géographique (...) Le nom, l'endroit de votre toute première naissance, celle du début pour ainsi dire, ce nom demeure le Nom’.
C'est un peu plus loin qu'il dira que le rivage de la Flandre s'appelle la Méditerranée.
Michiels retrouve en Vaucluse toutes les traces possibles des différentes couches qui forment cette civilisation, occidentale, dit-on, mais dont les origines sont méditerranéennes: les religions monothéistes, la sagesse grecque, la société romaine. Par rapport à cette réalité, les frontières n'ont évidemment plus aucun sens. Michiels n'est pas un écrivain belge qui refuse la magouille d'un plat pays, ni un auteur flamand qui crache dans son berceau, Michiels est un écrit qui sauve l'essence même du pays d'origine, et de celui de la renaissance.
Les images de cette synthèse foisonnent. Dans Dixit la carte géographique se plie et se replie jusqu'à se faire rejoindre Avignon et Anvers. On songe à une bande de Moebius, découpée dans la carte de l'Europe, où les deux villes coïncideraient précisément là où la bande passe dans une autre dimension. Dans De Vrouwen van de Aartsengel, Michiels évoque une Rose des Vents, figure solaire dont les rayons vont et viennent des divers endroits au centre - la montagne sacrée du Ventoux, peut-être - tandis que l'image que dessine le narrateur dans Vlaanderen, ook een land ferait plutôt penser au carré des maisons du Zodiaque, c'est-à-dire à un univers symbolique.
On comprendra ainsi l'intérêt du thème. Dépassant presque à l'infini l'anecdote biographique, un auteur découvre, au fur et à mesure que son oeuvre se déploie, la vérité, et la beauté, d'une émigration. Si à l'origine le projet est personnel, transformé par l'écrit littéraire, il révèle une valeur universelle, qui transcende ce que quelques provinces septentrionales, et la Provence du Midi, peuvent avoir de particulier. L'oeuvre est européenne parce qu'elle met ce mouvement transcendant en pratique. ■
georges adé
Critique littéraire.
Adresse: Baron E. Empainlaan 121, B-2800 Mechelen.
Les textes d'Ivo Michiels cités dans cet article ont été traduits par Georges Adé.
Les Éditions Actes Sud ont publié Les femmes de l'archange (Journal Brut, 1987) et Le livre des relations spirituelles (Journal Brut, livie II, 1990); la traduction est de Marie Hooghe.