Littérature
P.F. Thomése reçoit le prix AKO 1991
Le 21 mai 1991 le prix littéraire annuel de l'AKO a été décerné au débutant néerlandais P.F. Thomése (o1958). Ce prix onéreux et prestigieux de 50 000 florins (160 000 FF ou 1 000 000 FB) a fait l'objet de vives discussions parce que le groupe organisateur, le complexe industriel du livre AKO, avait fait pression sur le jury pour que celui-ci élargisse la compétition en accueillant un échantillon plus large de genres littéraires. A part la prose littéraire, on n'y proposait qu'un livre pour la jeunesse et une biographie, mais cela suffit à provoquer un tel tollé chez les critiques que le jury a finalement préféré s'en tenir à la fiction.
Heureusement le choix de Thomése ne résultait pas d'un simple compromis. Son recueil de contes primé Zuidlaid (Pays méridional) ne se prête guère à classification, si ce n'est sous le dénominateur ‘littérature historique’. D'une manière plutôt inattendue, sa fantaisie débridée nous emmène aux xvie et xviiie siècles. Les Pays-Bas vivaient à cette époque leur ‘siècle d'Or’ parce qu'ils avaient écarté la menace espagnole et qu'ils avaient atteint leur apogée en tant que nation maritime. Toutefois, en même temps, ils avaient remplacé la contrainte catholique par leur propre système calviniste, confit de pessimisme. Afin d'illustrer la puissante influence de l'histoire jusqu'à nos jours, Thomése ne recule pas devant la lourdeur pour reformuler entièrement le genre historique.
Comme il le déclarait dans une interview, il considère que l'insatisfaction et la soumission de ses personnages à leur destin cadrent avec une sorte de ‘mythologie’ néerlandaise. Consciemment, il a choisi de ‘petits’ personnages historiques: un humaniste, un explorateur, un aventurier. Des figures qui ont réellement existé mais qui sont pratiquement oubliées. Loin de créer une sorte de nouveau culte du héros, il a voulu ‘conférer un nouveau visage à l'histoire nationale’. C'est pourquoi il n'a pas campé ses récits dans une campagne littéraire classique, mais plutôt dans les lieux picturaux bizarres des grands maîtres. Les violentes tempêtes, les ciels sombres et les tableaux obscurs rappellent la peinture de Brueghel (vers 1525-1569) ou de Bosch (vers 1450-1516).
Régulièrement la sombre charge émotive de Thomése conduit à des effets grotesques surfaits. Ainsi, il veut compléter le mythe du Hollandais affairé et fruste et montrer combien celui-ci est écrasé par sa conscience religieuse angoissée. Personne ne paraît vivre pour lui-même, mais uniquement pour satisfaire aux exigences que d'autres (et Dieu) lui imposent. Thomése recourt au pastiche pour montrer a quel point l'homme en est aliéné. D'après lui, cette réinterprétation de la réalité historique ne constitue pas une falsification de l'histoire.
Il a voulu montrer des êtres vivants, des hommes qui étaient confrontés à un mystère, qui étaient troublés. La culpabilité et le doute
P.F. Thomése (o1958).
ne sont pas des maladies typiques de la civilisation, dit-il. Les
xvie et
xviiie siècles étaient relativement prospères et cette prospérité offrait un sol nourricier idéal au calvinisme. Le climat actuel n'est guère différent. Ainsi le symbolisme de
Zuidland devient par trop manifeste, mais il n'empêche que ce recueil fait voir une nouvelle version reconstituée du mythe hollandais. Le jury de l'AKO a fait le bon choix, même s'il a couronné chez un auteur qui se cherche la promesse plutôt que la prestation. ■
Karel Osstyn
(Tr. J.-P. Roobrouck)