Charles Ducal, lauréat du prix de la Poésie de ‘De Vlaamse Gids’
Pour son deuxième recueil de poèmes, De hertog en ik (Le duc et moi, 1990), le jeune poète flamand Charles Ducal (o1952) a reçu le prix de De Vlaamse Gids, l'une des principales revues littéraires et culturelles flamandes.
Son premier recueil Het huwelijk (Le mariage, 1987) lui avait valu tout de suite bon nombre de comptes rendus dans la presse tant flamande que néerlandaise, comme s'il écrivait des poèmes depuis des années déjà. Cet enthousiasme assez insolite trouve peut-être son origine dans le fait que la découverte d'un poète flamand par les Pays-Bas - c'est la Arbeiderspers à Amsterdam qui l'édite - peut laisser supposer un niveau de qualité plus élevé. Quoi qu'il en soit, une voix tout à fait particulière et la richesse manifeste de cette poésie en même temps très fraîche expliquent sans doute cet engouement.
Le thème majeur de l'oeuvre ultérieure de Charles Ducal est déjà présent en essence dans le recueil de début très remarqué. Le poète se sait impuissant face à la réalité et vit surtout dans son imagination. Deux mondes le menacent également: d'une part la banalité du monde extérieur; d'autre part la prolifération de ses pensées. C'est dans le langage uniquement qu'il trouve une image objectivée de ses expériences subjectives. Le langage lui fournit une arme contre le
Anne van Herreweghen, portrait de Charles Ducal, fusain.
sentiment d'angoisse. Cette angoisse occupe une place de plus en plus marquée encore dans le recueil qui vient d'être couronné. Il s'agit de la peur du regard que l'on porte sur l'autre et que celui-ci porte sur nous, la peur du contact physique distancié quand on est les yeux dans les yeux avec une personne vivante. C'est le corps et la vie de l'autre, mais aussi l'image réfléchie de lui-même, que Ducal s'efforce de couler dans une forme objectivée qui mélange réalité et imagination, présent et passé. Le recueil acquiert ainsi un caractère narratif et explicatif, d'une part, quelque chose de féerique et d'onirique, d'autre part. Chaque poème demeure pourtant très lisible en soi et se prête à des interprétations diverses, y compris indépendamment du contexte. Plus même, c'est dans la recherche et la découverte de la forme et dans l'expression par la voie du langage que le poète trouve son véritable plaisir. Les nombreux procédés stylistiques classiques confèrent même un cachet à première vue légèrement cocasse aux poèmes. Ducal a abondamment recours à des assonances, doubles rimes, allitérations, rimes ordinaires, chiasmes et parallélismes. Il est même un maître difficile à égaler pour ce qui est d'excellents enjambements, comme dans le poème pas lequel s'ouvre le recueil:
Oog in oog (Face à face):
Il est debout devant le miroir, lui a le plus peur
parce que l'image se laisse en lui surprendre:
un enfant coupable qui perce la raison,
de vieilles armoires vient appréhender le langage.
Mais la maison est vide, personne ne narre
le passé jusqu'à l'arrêter, pas de père,
pas de mère, pas de poing, pas de giron.
Par son caractère exorcisant et chaleureusement ironisant (et même cynique dans le premier recueil), le langage rejoint pourtant celui d'une jeune génération de poètes flamands.
De hertog en ik se compose de deux volets. Dans le premier, nous voyons le moi enfant dans son monde enfantin (la ferme, la cour, les contes, l'école maternelle) dominé par le père. Aux yeux du fils, le père devient une figure presque mythique (Dieu, un géant). C'est un archétype qui par son seul regard indique la norme. Telle une figure de conte fascinante, il est à la fois menaçant et impressionnant.
Mais le fils perd la petite croix protectrice du père et demeure seul