vite, les dessins d'enfant du Hollandais firent place aux tableaux de guerre effrayants où figurent des hommes criant au secours et des roues tordues symbolisant la destruction. Ces tableaux oppressants firent de Constant l'artiste Cobra politiquement le plus engagé, qui, par ses idées utopiques, séduisait les Provos d'Amsterdam. Au début, l'influence de Miró vibrait également chez Corneille. Lors de ses voyages au Maghreb, il fut toutefois attiré par la terre aride et brûlée qu'il incorpora dans ses tableaux comme des sections de l'écorce terrestre, avec des groupes de rochers effondrés et compressés. Sur ce point, ils s'inspirait au fond de la même source que Jean Dubuffet, le peintre de la matière, qui séjourna lui aussi à plusieurs reprises au Sahara.
En Belgique, il ne faut pas sous-estimer l'influence de l'abstraction lyrique, tout de suite après la seconde guerre mondiale. Au moment où Cobra fut dissous en 1951 à Liège, Alechinsky peignait toujours une végétation épaisse et grouillante qui, du point de vue stylistique, s'apparentait à l'oeuvre de Louis van Lint (1909-1987). En 1954, à Paris, Alechinsky apprit à peindre selon la méthode chinoise chez Walasse Ting: l'encrier à la main et le papier par terre. Une fois de plus, cette approche gestuelle rappelait l'‘action painting’ de Pollock. A l'exemple de Dali, la métamorphose et l'association libre jouaient un rôle clé dans l'imagination d'Alechinsky. Des formes ressemblant à des serpents et à des larves se fondent continuellement les unes dans les autres. On retrouve l'intérêt, typiquement belge, porté à ‘l'écriture automatique’ instinctive de Breton chez Alechinsky, mais surtout chez Christian Dotremont. En tant qu'étudiant, ce poète-peintre était sous le charme de Rimbaud et d'Éluard et en 1940 déjà, il s'était fait un nom dans le milieu surréaliste parisien grâce à ses écrits. Comme il était devenu le secrétaire général de Cobra, Dotremont fit de Bruxelles le premier point derencontre du mouvement. Plus que personne, il considérait l'acte d'écrire comme une forme de dessin et l'écriture comme un miroir de la personnalité. C'est pourquoi il développa l'idée d'une écriture spontanée et gracieuse qui, dépouillée de toute signification, ressemblait à la calligraphie orientale. A partir de 1962, ceci mena à ce qu'il appelait ses ‘logogrammes’, où il donnait
libre cours à son imagination graphique. En marge du Cobra belge se situe le talentueux chaudronnier Reinhoud (o1928), qui, dans les années 50, exposait avec Alechinsky, Jorn et Dotremont, sans toutefois devenir membre à part entière du groupe. A partir des années 60, il se mit à forger des êtres hybrides, zoomorphes, ayant des traits humains, et imprégnés d'une fantaisie surréaliste à la Bosch. Comme son frère Roel D'Haese (o1921) et Rik Pot (o1924), il joua un rôle clé dans le renouveau de la sculpture magique-réaliste figurative des années 60. Actuellement, il habite à La Bosse, un village à 100 km au nord de Paris, où Alechinsky a également un atelier. L'approche interdisciplinaire de Cobra a été incarnée d'une maniére frappante par le poète peintre Hugo Claus (o1929), qui, entre 1950 et 1953, habitait à Paris, où il se lia d'amitié avec Appel et Corneille. Son oeuvre littéraire a souvent été illustrée par des membres de Cobra et il est luimême l'auteur d'oeuvres plastiques qu'il considère jusqu'à présent comme secondaires.
L'art populaire, l'art viking, les trolls et la tradition des contes de fées contribuèrent à la ‘couleur locale’ du Cobra danois. Ce fut avant tout Asger Jorn, artiste regardant au-delà des frontières danoises, qui sortit le pays de son isolement et qui servit de moteur à Cobra. Son apprentissage chez Fernand Léger à Paris (1936) ne le marqua apparemment pas car, dans son oeuvre de jeunesse, bien souvent un pêle-mêle d'êtres et d'animaux tourbillonnants, on reconnaît plutôt Miró. Son style plus mûr est un approfondissement de la mythologie scandinave, enveloppée dans un ensemble dynamique de lignes, style Munch. Le Danemark produisit en outre des artistes qui jetaient un pont entre le modernisme et l'art populaire. Ainsi, Heerup, avec ses constructions de ferraille, joua un rôle prophétique pour le ‘nouveau réalisme’ et l'‘assemblage’ des années 60. Lors d'un séjour à Paris en 1934, Jacobsen fut fasciné par les masques de Picasso et l'intérêt que portait ce dernier à l'art primitif. Dès lors, Jacobsen peignit des masques de carnaval gaiement bariolés. Dans l'oeuvie de Picasso retentit avant tout un écho africain, alors qu'on découvre plutôt des traits océaniens dans la richesse de couleurs de Jacobsen.
Le style après-guerre de Pedersen est redevable au pointillisme français et à l'imagination puérile de Chagall. Dans ses peintures poétiques, rois et divinités de la mer baignent dans une lumière jaune d'or, répandue par un soleil radieux ou par des étoiles scintillantes. Serait-ce la lumière mistérieuse, irréelle des nuits d'été norvégiennes? ■
Lieven Defour
(Tr. G. Devriendt)