Septentrion. Jaargang 42
(2013)– [tijdschrift] Septentrion–
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Au-delà de la Flandre ou non? La carrière (internationale) des films flamandsOn a parfois l'impression que, depuis le début du XXIe siècle, les bonnes nouvelles en provenance de Belgique se font rares. Morosité et crise dans tous les domaines. Mais pas pour le cinéma flamand! Les premiers signes avant-coureurs d'un boom du cinéma flamand remontent à 2003: cette année-là, le cinéma flamand enregistra avec le polar noir La Mémoire du tueur son plus grand succès depuis le début des années 1990: 750 000 spectateurs virent le film. Cinq ans plus tard, le réalisateur Eric Van Looy (o 1962) confirma avec le film Loft son talent pour un cinéma grand public de qualité. Cinq hommes mariés partagent dans le plus grand secret un loft où ils reçoivent, dans un cadre élégant et en toute quiétude, leurs maîtresses et nouvelles conquêtes. Un excellent arrangement jusqu'à la découverte, par un matin d'hiver, du cadavre d'une jeune femme. Loft reçut un tel accueil dans les salles de Flandre qu'il dépassa tous les records d'entrées. Avec ses 1 200 000 spectateurs, il devint le film flamand le plus populaire de tous les temps. À l'heure actuelle, les affaires marchent comme jamais pour le cinéma flamand. En 2003, on dénombrait sept films. En 2011, trente. En 2004, les Flamands étaient 566 000 à avoir vu des films flamands au cinéma. En 2011, ils étaient 1 396 000, soit plus du double. La part de marché du cinéma flamand, elle aussi, a doublé en Flandre, pour atteindre environ 10% du total des tickets vendus. Avec les fonds générés par le nouveau tax shelter fédéralGa naar eind1, des moyens considérablement accrus furent soudainement mis à la disposition de l'industrie cinématographique locale. Le Vlaams Audiovisueel Fonds ou VAF, qui assure depuis 2002 le financement public officiel des productions flamandes, anticipa habilement sur la dynamique et réussit à mobiliser des moyens complémentaires pour la production cinématographique. À côté du fonds d'aide au cinéma, un Mediafonds a été créé, destiné à soutenir les séries télévisées de fiction, ainsi que, depuis peu, le Screen Flanders, fonds économique consacré aux films produits sur le territoire flamand. La métamorphose du paysage médiatique a joué également un rôle important dans cette évolution. Avec l'arrivée de la télévision commerciale à la fin des années 1980, un appétit pour la | |
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fiction flamande, auparavant inimaginable, s'est peu à peu manifesté chez les téléspectateurs flamands. Ce glissement créa un terrain que les cinéastes purent mettre à profit: non seulement l'industrie audiovisuelle locale gagna en ampleur, mais un nombre accru d'acteurs et de techniciens trouvèrent à s'employer sur les plateaux des fictions, ils y acquirent une expérience et constituèrent un pool intéressant pour les cinéastes. Un véritable star-système est même apparu, encore qu'à l'échelle strictement flamande: les acteurs populaires devinrent des ‘Flamands connus’ et déclenchèrent une dynamique du public spécifique. Ils sont maintenant un élément incontournable de la production de programmes télévisuels et de films de cinéma. Quand les vedettes du petit écran font des incursions sur le grand écran, le public de la télévision suit ses idoles au cinéma. La nouvelle génération de cinéastes flamands utilise ce mécanisme avec succès. Là où, autrefois, l'auteur occupait la place centrale dans le concept du film, les considérations relatives au public pèsent désormais sans cesse davantage dans la balance. Il n'est plus iconoclaste de raisonner commercialement. Une société comme Studio 100 sort des productions pour les enfants, rentables sans subventions. Un cinéaste comme Jan Verheyen (o 1963) fait preuve dans tous ses films (Zot van A, 2010; Dossier K, 2009; Team Spirit 1 & 2, 2000 & 2003; ...) d'une intuition infaillible pour ce qui concerne le goût du spectateur flamand moyen. | |
Connu en Flandre, inconnu à l'étrangerLe phénomène sociologique du ‘Flamand connu’ est très spécifiquement flamand. Dans la Belgique francophone, où un tel phénomène n'existe pratiquement pas, les chiffres d'entrées du cinéma autochtone sont particulièrement bas. En 2011, le film flamand Tête de boeufGa naar eind2, un drame captivant sur l'innocence perdue et l'amitié, le crime et son châtiment, avec en toile de fond la puissante mafia des hormones, a drainé en Belgique 470 000 spectateurs vers les | |
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![]() Matthias Schoenaerts dans Tête de boeuf.
salles. Les chiffres pour Tête de boeuf seul sont plus élevés sur cette année-là que le total des entrées réalisées par le cinéma belge francophone. Ce que le cinéma francophone de Belgique possède bel et bien, c'est un certain nombre de cinéastes de stature internationale. Tout d'abord, il y a les frères Jean-Pierre et Luc Dardenne qui, à chaque nouveau film, raflent les prix les plus importants au festival de Cannes: deux films y obtinrent la plus haute distinction, la Palme d'or, les autres titres remportèrent un Grand Prix, des Prix d'interprétation et du scénario. Au fil des ans, les frères ont bâti une oeuvre d'une qualité consistante. D'autres cinéastes belges francophones accomplissent un parcours comparable. Joachim Lafosse, plus jeune de deux générations, Bouli Lanners, le cinéaste de genre Fabrice du Welz, le trio burlesque Abel, Gordon et Romy: leurs films comptent aujourd'hui dans le discours artistique international. Ils sont régulièrement sélectionnés pour les grands festivals. Localement, leurs films n'ont que peu d'importance; internationalement, ils placent le cinéma francophone de Belgique au premier plan. En ce qui concerne le cinéma flamand, la situation est plutôt inverse: le cinéma flamand grand public s'est acquis une position en Flandre. Comme nous l'avons dit précédemment, il y est parvenu en faisant appel à un cadre de référence flamand, en répondant au marché flamand. La visibilité est en l'occurrence un élément important. À la télévision flamande et dans les cinémas flamands, l'actrice Veerle Baetens est une figure familière et bienvenue. Hors de Flandre, sa notoriété est mince. Ce qui sert localement la communication avec le public constitue une barrière au-delà. Pour un non-Flamand, les plaisanteries ‘maison’, en apparence faciles, d'une comédie comme Frits en Freddy sont assez paradoxalement plutôt ... hermétiques. Et les multiples films policiers et séries policières tournés en Flandre, basés sur des modèles anglo-saxons il y a peu encore (aujourd'hui surtout scandinaves), ne sont pas de portée internationale. Car l'étranger regarde l'original de préférence à la copie. À défaut de cinéastes flamands de stature internationale, le succès du cinéma flamand témoigne en premier lieu du succès local des films grand public. Un bel exemple en est le film | |
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![]() Tom Audenaert dans Hasta la vista.
Loft déjà cité. Le film semblait peu approprié à l'exportation. Pour le marché néerlandais, un remake fut tourné, dans une réalisation d'Antoinette Beumer. On trouvait le scénario à base de crime et d'adultère manifestement trop ‘couleur locale’, trop truffé de références évidentes au contexte local. Les Pays-Bas sont pourtant le seul pays au monde où le public aurait pu voir le film en version originale flamande, en théorie non sous-titrée. Le même mécanisme se présenta pour la sortie du film aux États-Unis. À nouveau, la piste du remake fut choisie, dans ce cas réalisé une seconde fois par Eric Van Looy, mais pour un autre marché intérieur. Il va de soi qu'une sortie aux États-Unis est un événement particulier, ne seraitce que parce que le marché des films en langue étrangère (autre que l'anglais) est pratiquement inexistant. | |
Un succès international croissantCependant, cela ne veut pas dire que les cinéastes flamands ne marquent jamais de points à l'extérieur. Selon les statistiques, cela arrive même de plus en plus souvent. En 2011, des films flamands ont été sélectionnés à 961 reprises dans des festivals internationaux. La progression est surtout marquante pour les festivals européens. Souvent, ces films figurent aussi au palmarès. Pour le cinéma tous publics qui en premier lieu s'adresse au biotope local familier, la valeur à l'exportation est en règle générale limitée. Pour les films plus importants par leur ampleur ou leurs qualités artistiques, il existe aujourd'hui un réseau de festivals internationaux bien développé, plus actif que jamais, par l'intermédiaire duquel circule une grande variété de films issus de tous les coins du monde. Le cinéma flamand semble y attirer favorablement les regards. Quelle est l'origine de cette attention croissante? L'industrie audiovisuelle flamande est, assurément, plus florissante et compétitive qu'auparavant: on tourne davantage et, de ce fait, on tourne aussi plus de films intéressants. Par ailleurs, le cinéma flamand dispose aussi, | |
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![]() Koen De Graeve dans La Merditude des choses.
maintenant, d'un réseau international. Flanders Image, l'outil de promotion internationale du cinéma flamand, fonctionne à plein. Le circuit international des festivals s'est d'ailleurs développé en un véritable circuit de distribution alternatif. Bien des films sont surtout projetés dans les festivals. Mis à part les festivals, il n'y a guère d'autres lieux de projection pour beaucoup de films déclarés d'art et d'essai. Pour les multiplexes ‘commerciaux’, le public de ces films est beaucoup trop restreint. Il ne faut cependant pas présenter en termes trop contrastés l'opposition entre le cinéma ‘artistique’, doté d'un potentiel à l'exportation, et le cinéma grand public au potentiel essentiellement local. Il existe quantité d'exceptions remarquables comme Tête de boeuf, le premier film de Michael R. Roskam (o 1972). À dire vrai, Tête de boeuf, plutôt sombre et au rythme lent, n'avait pas d'emblée le profil d'un film accessible au grand public. Pourtant ce fut un succès commercial dans la région même et il suscita pas mal d'intérêt hors de Flandre. Tête de boeuf fut, entre autres, présenté au festival de Berlin et décrocha même une nomination pour les Oscars. Tête de boeuf eut aussi des effets secondaires intéressants. L'acteur Matthias Schoenaerts dépassa le statut de ‘Flamand connu’ et fut soudain élevé au rang d' ‘acteur à ne pas perdre de vue internationalement’Ga naar eind3. Le film passa à côté des prix quand il fut sélectionné pour représenter la Belgique aux Oscars, mais aussi bien Roskam que Schoenaerts avaient fait bonne impression. Roskam fut contacté pour des projets américains et Schoenaerts se vit confier, juste après, un rôle principal dans le film français De rouille et d'os du réalisateur français en renom, Jacques Audiard. La reconnaissance de l'étranger ne mène d'ailleurs pas immédiatement les producteurs flamands à la fortune, mais elle crée, de fait, des ouvertures pour de nouveaux projets. Il devient plus facile de boucler le financement d'un nouveau projet et davantage de salles sont offertes à celui qui veut tourner un nouveau film. Un bel exemple dans ce contexte est Hasta la vista de Geoffrey Enthoven (o 1974). Cette image émouvante de trois jeunes handicapés à la recherche du plaisir sexuel (tarifé) a drainé en Flandre à peu près 250 000 spectateurs. Le film fut sélectionné pour environ trente | |
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![]() Veerle Baetens et Johan Heldenbergh dans The Broken Circle Breakdown.
festivals internationaux, y obtint douze prix et huit prix du public (dont le prix du public des European Film Awards). En outre, Hasta la vista fut vendu à dix-neuf pays européens et à six pays hors de l'Europe. Souvent, une telle vente est avant tout symbolique. En Lituanie par exemple le film n'attira guère de spectateurs. Mais dans d'autres pays, les chiffres furent considérablement plus élevés: le film totalisa 70 000 spectateurs en Allemagne, et même 140 000 en France. Il sera plus facile de trouver des fonds à l'étranger pour un nouveau film de Geoffrey Enthoven et les salles étrangères manifesteront bien vite leur intérêt. D'autres films plus ou moins récents créèrent un effet comparable, mais à une échelle plus modeste. Moscow, Belgium de Christophe Van Rompaey (o 1970)Ga naar eind4 connut une carrière non négligeable dans les salles de Flandre avant d'être sélectionné en 2008 à Cannes (Semaine de la critique) et d'y obtenir, entre autres, un Prix du scénario. Même histoire pour La Merditude des choses de Felix Van Groeningen (o 1977)Ga naar eind5, un récit qui a pour cadre le milieu marginal des pochards: des recettes plus que convenables en Flandre, puis un prix à Cannes. Le dernier film de Van Groeningen, The Broken Circle Breakdown, sorti en salle fin 2012, a donné l'impression de pouvoir faire aussi bien. On peut aussi mentionner Ben X, le premier long métrage de Nic Balthazar (o 1964)Ga naar eind6, et Oxygène de Hans Van Nuffel (o 1981)Ga naar eind7, tous deux lauréats du Grand Prix des Amériques à Montréal (respectivement en 2007 et 2010). Pour le cinéma flamand d'art et d'essai, qui ne peut compter que sur le public des cinéphiles, les résultats aux caisses des salles de Flandre sont par définition modestes. Un nombre respectable de ces films arrive à se frayer une voie vers le circuit international des festivals et récolte parfois des récompenses importantes. Les longs métrages réalisés par le duo Jessica Woodworth et Peter Brosens (Khadak, 2006; Altiplano, 2009; La Cinquième Saison, 2012) en sont le prototype. Ils n'ont attiré vers les salles de Flandre que quelques milliers (Khadak) voire quelques dizaines de milliers (Altiplano) de spectateurs, mais leur parcours des festivals fut impressionnant. Cela vaut aussi pour The Invader (2011), le premier long métrage de l'artiste audiovisuel Nicolas Provost, et pour les films du nouveau venu Gust Van Den | |
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![]() Peter Van Den Begin dans La Cinquième Saison.
BergheGa naar eind8, dont aussi bien le premier-né Et où l'étoile s'arrêta (2010) que le deuxième film Blue Bird (2011) furent sélectionnés pour la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. Le long métrage stylisé Noordzee Texas (2011) de Bavo Defurne ne déplaça que peu de spectateurs en Flandre mais fut positivement accueilli dans les festivals étrangers spécialisés. Ces dernières années, les films flamands sont donc de plus en plus nombreux à parcourir le monde. Mais pour véritablement attirer les regards du monde vers la scène flamande, il reste encore à attendre la venue de quelques grands auteurs et de cinéastes qui ne tournent pas seulement un ou deux films intéressants, mais bâtissent une oeuvre consistante, avec une voix qui leur soit propre et une portée internationale. Des cinéastes dont on guette les films internationalement, comme on guette, à chaque fois, le prochain film des frères Dardenne. Erik Martens |
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