Septentrion. Jaargang 42
(2013)– [tijdschrift] Septentrion–
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MusiqueDe l'extrême-orient à Paris: l'Orchestre philharmonique de RotterdamRendre la musique symphonique accessible au grand public: tel est l'objectif avoué de l'Orchestre philharmonique de Rotterdam, qui essaye de se faire connaître sur la scène internationale comme un orchestre symphonique innovant, polyvalent et engagé. Si son répertoire couvre toutes les périodes de l'histoire de la musique, l'orchestre souligne son attachement à la musique contemporaine. Aujourd'hui, l'heure est au bilan car il s'apprête à fêter son centenaire. Au début du xxe siècle, la vie culturelle à Rotterdam était loin d'atteindre le niveau d'aujourd'hui. Pour se divertir, la haute société se déplaçait jusqu'à La Haye ou elle conviait plusieurs fois par an un orchestre d'Utrecht ou d'Amsterdam. Pour la classe populaire de la grande ville portuaire il n'y avait pas de musique symphonique. Au cours des années 1914-1918 des centaines de musiciens néerlandais à l'étranger furent contraints de rentrer chez eux car le pays était neutre. Ils trouvèrent du travail dans l'industrie du spectacle, car un grand nombre de ‘profiteurs de la guerre’ disposaient de grosses sommes d'argent qu'ils dilapidaient sans compter dans les cabarets et les dancings. Or, être obligés de se produire devant ‘une bande de cochons ivres’, comme l'exprime le violoniste et compositeur Jules Zagwijn, était une pilule dure à avaler pour des musiciens sérieux. À l'initiative de Zagwijn, une trentaine de musiciens se rassemblèrent dans une petite salle le 10 juin 1918. Ainsi naquit une association qui souhaitait jouer de la musique symphonique pour son propre plaisir. Cette initiative somme toute modeste est à l'origine de l'actuel Orchestre philharmonique de Rotterdam. Les premiers concerts ne s'adressaient qu'aux invités et aux membres des familles, mais le grand public ne tarda pas à savoir que Rotterdam avait un orchestre philharmonique et la demande du public se fit de plus en plus pressante. Finalement, la commune de Rotterdam accorda à l'orchestre une modeste subvention accompagnée de l'obligation d'organiser des concerts payants. Aux alentours de 1930, le succès de l'orchestre devint incontestable quand la direction fut confiée au jeune chef de choeur Eduard Flipse (1896-1973). Celui-ci ne quitterait l'orchestre qu'en 1961. Sous sa direction, l'ensemble se développa et devint une valeur sûre de la vie culturelle de Rotterdam. Le groupe cible était en premier lieu la classe populaire de Rotterdam et non pas l'élite. Par ses goûts, Flipse retenait cependant l'attention de la scène musicale de l'ensemble des Pays-Bas. Ses choix s'orientaient clairement vers le répertoire avant-gardiste tant néerlandais que français. Ainsi, l'orchestre se fit connaître sous le nom de noviteiten laboratorium (laboratoire de nouveautés), car chaque concert comportait au moins deux nouvelles oeuvres contemporaines. La préférence de Flipse allait surtout à la musique du groupe des SixGa naar eind1, qu'il jouait nettement plus souvent que n'importe quel autre orchestre des Pays-Bas. En outre, il se lia d'amitié avec le compositeur français Albert Roussel, qui visita Rotterdam en 1932 où il fut honoré d'un programme qui lui était quasi entièrement consacré. Le 14 mai 1940 faillit cependant sonner la fin de la prometteuse phalange suite au bombardement dévastateur de l'ancien centre-ville. L'orchestre perdit tout ce qu'il possédait: sa salle de concert et de répétition, sa bibliothèque musicale et ses instruments. Il n'y eut heureusement aucune perte humaine à déplorer. Pendant la guerre, l'orchestre fut plus que jamais un pilier de la vie culturelle: jamais les spectacles n'ont fait autant salle comble qu'en ces temps de misère. Par la force des choses, on privilégiait la musique néerlandaise et belge, étant donné que la musique d'autres pays (excepté la musique allemande) était pratiquement interdite. Après la guerre, l'Orchestre philharmonique de Rotterdam devint, entre autres grâce à son approche pragmatique, un symbole des Pays-Bas renaissants. Mais l'absence d'une salle de concert adaptée continua de se faire cruellement sentir jusqu'en 1966, lorsque la nouvelle salle De Doelen fut mise en service. Entre-temps, l'orchestre s'était fait une belle place sur la scène musicale | |
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![]() Yannick Nézet-Séguin.
néerlandaise et internationale, ainsi qu'en témoigne le nombre croissant de tournées à l'étranger. Alors qu'en 1938 la première tournée à Bruxelles créait encore l'événement à l'échelle nationale, les tournées dans d'autres continents font aujourd'hui partie de la routine. Au calendrier de la saison 2012-2013, on retrouve entre autres deux tournées en Extrême-Orient ainsi que des concerts dans des maisons prestigieuses telles que le Musikverein à Vienne et le Théâtre des Champs-Élysées à Paris, où l'ensemble est depuis 2010 ‘orchestre invité’Ga naar eind2. Après Eduard Flipse, l'orchestre a connu plusieurs autres chefs prestigieux, tels Jean Fournet, Edo de Waart, David Zinman, James Conlon, Jeffrey Tate, Valery Gergiev et, à présent, Yannick Nézet-Séguin. Chacun d'eux a marqué l'orchestre de son empreinte personnelle. Ainsi, sous Gergiev, l'orchestre se fit connaître comme ‘le meilleur orchestre russe à l'ouest de Moscou’. Le problème était (et est encore) qu'aux Pays-Bas et ailleurs l'orchestre a toujours dû lutter, malgré son époustouflant savoir-faire, contre l'image de l'Orchestre royal du Concertgebouw comme seul orchestre national des Pays-Bas, comme si dans un petit pays tel que les Pays-Bas il n'y avait pas de place pour de nombreux musiciens hors pair. À l'heure des coupes budgétaires, où les autorités tiennent l'orchestre dans leur ligne de mire, il y a de nouveau de quoi s'inquiéter. Pourtant, l'orchestre qui se prépare à fêter ses cent ans fait toujours preuve d'une belle vitalité et est prêt à affronter l'avenir. jan kosten |