Septentrion. Jaargang 42
(2013)– [tijdschrift] Septentrion–
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Source de fascination et d'inspiration: les vêtements Sofie D'Hoore‘Un simple coup d'oeil sur la collection m'a donné envie d'acheter la plupart des modèles’, écrit Lucia van der Post dans le Financial Times de Londres du 15 septembre 2012, après avoir vu des articles de la marque Sofie D'Hoore chez Egg, la boutique branchée de Maureen Doherty, dans l'ouest de la capitale britannique. La styliste flamande voit ses vêtements vendus à Paris, à Londres, à New York et à Tokyo, mais jouit peut-être d'une moins grande notoriété qu'elle ne le devrait dans son propre pays. Surprenant, quand on sait qu'elle est dans le métier depuis vingt ans et que sa griffe, lancée en 1992, a presque autant d'ancienneté que celles d'Ann Demeulemeester ou de Dries Van Noten. Est-ce parce qu'elle n'appartient pas au microcosme anversois de la mode et qu'elle a choisi de travailler à Bruxelles? Elle n'a pas de boutique, n'organise pas de défilés et ne fait pas de publicité. En tout cas, sa longévité dans le monde impitoyable des indépendants de la mode, qui a vu Christoph Coppens, Walter Van Beirendonck et Sandrina Fasoli arrêter leur activité l'an dernier, représente une belle réussite. Sofie D'Hoore (o 1962) est issue d'un milieu de médecins. Son père a toujours aimé la musique. Des artistes et des dames élégamment vêtues fréquentaient le salon familial où il faisait donner des concerts. Avec sa mère elle allait régulièrement faire les boutiques à Paris, voyages qui, de son propre aveu, lui ont aussi inspiré sa passion pour les vêtements et la mode. Le désir d'en faire son métier s'éveilla le jour où elle assista à un défilé à l'Académie de mode d'Anvers. Provisoirement, la pression familiale du milieu médical l'emporta et Sofie D'Hoore fit cinq ans d'études en dentisterie, dont une année de stage. Après quoi elle décida de suivre sa propre voie et s'inscrivit en 1984 à un cours d'ingénierie textile à Gand. Elle abandonna cependant au bout de six mois, trouvant le contenu de l'enseignement prodigué trop limité. En 1985, D'Hoore revint à Anvers pour étudier la mode à l'Académie royale des beaux-arts. Les années 1980 représentèrent une période créatrice sans précédent pour l'école. Les ‘Six d'Anvers’, à savoir Dries Van Noten, Ann Demeulemeester, Dirk Van Saene, Walter Van | |
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![]() Sofie D'Hoore, photo H. Sorgeloos.
Beirendonck, Dirk Bikkembergs et Marina Yee obtinrent tous leur diplôme en 1980-1981Ga naar eind1. Walter Van Beirendonck, qui enseignait à l'Académie à l'époque (il est maintenant directeur du département Mode), fut le mentor de Sofie D'Hoore et, malgré une inspiration totalement différente en matière de création, exerça une profonde influence sur la styliste. À la différence des Six d'Anvers, qui devinrent célèbres presque du jour au lendemain en 1988, Sofie D'Hoore établit sa réputation avec le temps. Son diplôme en poche, elle fit ses débuts dans le prêt-à-porter avant de partir à Milan pour être chef de production de Private Collection, une ligne belge de prêt-à-porter dames et jeunes filles, commercialisée par Dujardin, prestigieux magasin de mode de l'avenue Louise à Bruxelles, aujourd'hui disparu. Ne pouvant continuer, Sofie D'Hoore saisit sa chance ailleurs en 1990: le distributeur de mode italienne Franco Bruccoleri l'invita à réaliser une collection intitulée tout simplement Dresses. Barneys, à New York, et d'autres boutiques prestigieuses s'y intéressèrent, mais les ventes ne permirent pas d'envisager la production en série des modèles. La collection Dresses eut néanmoins le mérite de fixer les idées de la styliste et de lui donner la confiance et l'énergie dont elle avait besoin pour travailler sous son propre nom. De retour en Belgique, elle conçut sa première collection et, avec l'aide de sa mère, la vendit directement à différentes boutiques. Peu après, elle rencontra Chantal Spaas, qui était chargée des ventes et de la distribution pour Dujardin. Ensemble, elles fondèrent Fashion Ink et lancèrent la première collection de Sofie D'Hoore, en septembre 1992. L'une des clés du succès commercial de cette griffe tient à la patience, à la constance et à la prudence avec lesquelles D'Hoore et Spaas ont développé leur entreprise. Les deux femmes se complètent parfaitement: D'Hoore s'occupe de la création et Spaas des ventes, de la distribution et des finances. La stabilité de l'entreprise ne fut pas aisée à obtenir. Au début, la société connut des moments financiers difficiles et, à un moment donné, Spaas dut même trouver des capitaux dans sa propre famille. Aujourd'hui, l'affaire est florissante, mais les coûts d'exploitation restent très étudiés. Chantal Spaas et Sofie D'Hoore ont partagé toute leur vie professionnelle, et | |
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![]() Photo H. Sorgeloos.
Daniel, le modéliste-patronnier, est depuis si longtemps dans la société que tout le monde a oublié comment le travail s'effectuait avant son arrivée. La créatrice n'aime guère les feux de la rampe et préfère se concentrer sur la recherche de tissus et le dessin dans son bureau bruxellois (ou son appartement près des dunes de la côte belge). Malgré cela, elle et Chantal Spaas connaissent personnellement la quasi-totalité de leurs interlocuteurs, des façonniers aux dépositaires, des fabricants de tissus aux clients. C'est une qualité rare à notre époque, où tout va si vite, par ordinateur interposé, mais une qualité garante d'une assise commerciale solide. Les tout premiers clients de Sofie D'Hoore furent des Belges, dont la plupart lui sont restés fidèles, notamment ceux qui font partie des milieux de la création tels que le théâtre, la danse, l'architecture et les arts plastiques. Aujourd'hui, cependant, ses créations sont portées par des femmes de tous horizons. Ces dix dernières années en particulier, son travail a suscité un intérêt qui ne fait que s'accroître. Les ventes en Belgique ont même dépassé les ventes à l'étranger et une vingtaine de boutiques sur le territoire national proposent les collections Sofie D'Hoore, de même que des dépositaires à l'étranger: cinquante sur le continent européen, vingt au Japon, trois à Londres et dix aux États-Unis. La forte progression à l'étranger, stable malgré la crise financière, tient sans doute au fait que les modèles de Sofie D'Hoore se vendent. Bref, il est clair qu'elle crée des vêtements que les femmes ont véritablement envie de porter. Il est intéressant de constater que, dans ce succès, le marketing ne joue qu'un rôle très restreint et la publicité aucun: les vêtements Sofie D'Hoore se retrouvent dans les boutiques, puis chez les femmes qui ne peuvent s'en passer, par le biais de l'action personnelle de Chantal Spaas à l'occasion de la double présentation annuelle de la collection à Paris et à Milan. Dans l'univers souvent frénétique de la mode, cette approche traditionnelle consistant à parler aux clientes et à leur montrer de près la collection semble la bonne. Ce que Sofie D'Hoore propose, et ce qui la distingue, ce sont des vêtements beaux à voir mais aussi très agréables à porter et, il faut l'avouer, incroyablement bien faits. Son travail se caractérise par une recherche constante du raffinement des coupes, des couleurs et des finitions. | |
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![]() Photo H. Sorgeloos.
En termes de style, c'est un itinéraire personnel qui en vingt ans a abouti à une conception très élaborée de la création et d'une rare cohérence. Le tissu forme le point de départ de toute collection. Chaque saison, la styliste examine des centaines de textiles avant d'opérer le choix qui influencera ses créations. Elle ne commence jamais à dessiner avant. Il est indispensable que les matières aient de la tenue. Les fibres naturelles comme la laine, le coton ou la soie sont privilégiées et de la meilleure qualité. Elles tiennent bien et vieillissent mieux encore. Textures et contrastes jouent un rôle essentiel. La créatrice aime présenter plusieurs modèles dans une même collection, avec une expertise et une précision extrêmes, dans des tons harmonieux et des matières contrastées. Il faut surtout veiller au moindre détail de la coupe, du montage et de la finition sur chaque article. Pour Sofie D'Hoore, se sentir à l'aise dans un vêtement est aussi important que d'avoir belle allure. Son travail vise la liberté, au sens le plus large. Ses vêtements sont toujours élégants et féminins, mais autorisent une grande aisance de mouvement. Chacun est conçu pour être confortable, pratique et facile à porter. Mais ce qui importe tout autant à la styliste, c'est la liberté psychologique, à savoir la tranquillité d'esprit que procure la simplicité naturelle de ces vêtements adaptés aux réalités de la vie quotidienne. La personne qui les porte n'a ainsi aucun souci à se faire. La beauté des créations Sofie D'Hoore réside aussi dans la conviction que tout va avec tout, ce qui autorise un nombre infini de combinaisons pour toutes les collections. C'est une démarche intelligente et responsable qui se concentre sur l'élaboration d'une garde-robe qui s'adapte à toutes les occasions, demeure intemporelle et ne se démode jamais. Elle exploite ce que les médias ont qualifié de slow fashion (mode durable) ou ce que les femmes de la génération précédente avaient tendance à appeler les ‘vêtements de qualité’, c'est-à-dire bien coupés, dans des tissus nobles, pouvant être portés saison après saison. Le mouvement de la slow fashion est une réplique à la fast fashion (mode jetable) et à ses vêtements produits en masse. Le choix délibéré d'acheter des produits fabriqués avec soin dans des entreprises plus petites (en d'autres | |
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![]() Robe de danse, photo H. Sorgeloos.
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termes des vêtements de qualité, intemporels, plus résistants et au-dessus des tendances) et de ralentir la fréquence des achats de vêtements (en préférant la qualité à la quantité) constitue une réponse intelligente et moderne à la question de savoir comment s'habiller. C'est dans ce contexte que l'on peut dire que le travail de Sofie D'Hoore représente une nouvelle forme de luxe moderne. Ses vêtements sont à la fois bien conçus et discrets, simples et très élaborés, classiques et totalement contemporains. Le dialogue constant entre ces différents aspects est ce qui rend son travail si fascinant. Outre une coupe parfaite, une finition soigneuse, un toucher et un aspect des plus agréables, chaque collection offre le plaisir rare d'ouvrir de nouvelles perspectives dans des thèmes familiers. D'Hoore aime rappeler que les voyages à Paris, dans son enfance, pour faire les boutiques, lui ont donné l'amour de la beauté, de la couleur et du style. Sa passion pour la mode des années 1960 et 1970 est restée jusqu'à aujourd'hui une source d'inspiration importante. Dans ses archives personnelles, elle collectionne systématiquement les vêtements de cette période, lesquels vont de la haute couture (Yves Saint Laurent ou Cristobal Balenciaga, par exemple) à des créations anonymes qui ont un petit je-ne-sais-quoi du marché aux puces des Marolles de Bruxelles. Mais Sofie D'Hoore ne s'intéresse pas seulement au passé. Elle apprécie aussi les créateurs contemporains comme Miuccia Prada (chez Prada) et Rei Kawakubo (chez Comme des Garçons), les artistes, architectes et danseurs. En 2005, elle compta parmi les stylistes qui firent les costumes de la chorégraphie d'Anne Teresa De Keersmaeker Cassandre, parlant en douze voix. En 2007, elle collabora avec les acteurs Jan Decorte et Sigrid Vinks à la réalisation des costumes de leur spectacle Dieu & les esprits vivants (musique d'Arno et collaboration de Jan Decorte et de Sigrid Vinks avec De Keersmaeker). Vingt ans après sa première collection, Sofie D'Hoore s'est également lancée dans le prêt-à-porter masculin: une collection capsule (entendez ‘en édition limitée’), présentée deux fois par an, qui reflète les tissus, les couleurs et l'inspiration de la mode féminine et comprend un nombre restreint de vestes et de pantalons coordonnés en laine, coton ou velours. Les chemises, tricots et accessoires dans certaines des plus belles couleurs et matières qu'on puisse imaginer, contribuent à rendre accessible aux hommes le fin du fin de la mode de tous les jours (confort, simplicité et modernité). Le plus intéressant, cependant, est sans doute que les vêtements Sofie D'Hoore demeurent une source de fascination et d'inspiration, tant par le concept que sur le plan technique. Sofie D'Hoore préfère dire qu'elle est ‘couturière’ plutôt que créatrice de mode. À juste titre, sans doute. Ses collections mettent en effet en évidence le processus de ‘fabrication’ et de ‘construction’, et cela est manifeste dans chaque article qu'elle réalise. Plus que tout, ce sont des vêtements tout simplement judicieux. Helen Simpson |