Septentrion. Jaargang 42
(2013)– [tijdschrift] Septentrion–
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Le travail à temps partiel et l'égalité entre homme et femme: deux pays, deux visions‘Madame Fulltime’, titrait le magazine féminin néerlandais LibelleGa naar eind1 à propos des Françaises en mai 2012. ‘Madame Parttime’, pourraient s'étonner les Françaises à propos des Néerlandaises. En fait, 75% des Néerlandaises travaillent à temps partiel, 70% des Françaises à temps plein. Comment expliquer un tel écart, dont on sent bien qu'au-delà de l'explication par l'économique, il renvoie à un rapport différent au travail et à la vie privée. À nos yeux, dans les deux pays, les facteurs économiques sont articulés à un débat sociétal sur les voies et moyens de l'égalité entre les femmes et les hommes. La place du travail à temps partiel dans l'emploi des femmes aux Pays-Bas traduit ainsi une vision de l'égalité entre les hommes et les femmes qui déborde la sphère professionnelle à laquelle les féministes et les syndicalistes ont apporté leur pierre. En France, la précarité domine toujours le débat sur le travail à temps partiel subi ou contraint et le temps partiel ‘choisi’ reste toujours suspecté d'être le mauvais choix du point de vue de l'égalité. | ||||||||||
Le travail à temps partiel aux Pays-Bas, entre émancipation des femmes et flexibilitéGa naar eind2En 30 ans le travail à temps partiel a acquis aux Pays-Bas une forte légitimité que les syndicalistes de la FNV (Federatie Nederlandse vakverenigingen - Fédération des syndicats néerlandais) ont revendiquée dès 1987 et résumée dans le slogan Deeltijd compleet (À temps partiel, à part entière). En phase avec l'entrée massive des femmes sur le marché du travail à partir de 1985, le travail à temps partiel a facilité la modernisation de l'industrie et des services en collant au tournant de la flexibilité dans les entreprises et de la modération salariale négociée à partir de l'accord de Wassenaar (ville de Hollande-Méridionale) de 1982. Mais sa croissance traduit aussi l'ouverture de l'opinion à l'égard du travail des femmes | ||||||||||
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observée à partir des années 1980. Le taux d'activité féminin aux Pays-Bas dépasse même le taux français (74.1% contre 66.3% en 2009). Le conservatisme de la société néerlandaise en matière de division sexuelle des rôles est contesté à partir de la fin des années 1960 par les associations féministes, créées à cette époque par des jeunes femmes universitaires et politisées, radicales comme par exemple Dolle Minas, ou modérées comme Man Vrouw Maatschappij (MVM - Homme, Femme, Société). Tout en luttant pour la libéralisation de l'avortement et pour la diffusion de la contraception, elles réclament le développement de structures de garde d'enfants, quasi inexistantes dans les années 1970 et 1980 et l'accès des femmes à l'emploi, sans toutefois revendiquer pour elles le modèle masculin de l'emploi à temps plein. Elles détournent alors la conception quasi professionnelle du rôle de la mère au foyer qui prévaut encore aux Pays-Bas pour transformer le regard sur les tâches de care (zorgtaken) en ‘travail non payé’. Elles revendiquent même à la fin des années 1970 le partage intégral de ces tâches avec les hommes sous la forme d'un emploi à temps réduit à 5 heures de travail par jour pour tous. Les milieux politiques et syndicaux sont infiltrés par les militantes de ces mouvements. L'aile modérée de la mouvance féministe est intégrée très tôt dans les premières structures d'une politique administrative de l'Émancipation mise en place par un gouvernement de gauche, dès 1977. L'indépendance économique des femmes devient un objectif majeur qu'un emploi à temps partiel long permet d'atteindre. Les incitations provenant de la politique européenne d'égalité des chances ne doivent pas non plus être méconnues dans ces évolutions. L'insuffisance des modes de garde et la limitation des horaires scolaires sont souvent présentées comme à l'origine du succès du travail à temps partiel aux Pays-Bas. Il faut attendre l'infléchissement de la politique de l'Émancipation en direction de l'emploi des femmes, à la fin des années 1980, et la montée de l'influence des femmes dans le mouvement syndical pour qu'une politique de développement des crèches voie le jour et que l'accueil périscolaire se mette enfin en place à partir des années 2000. Le système dominant de valeurs et d'opinions continue de soutenir un recours limité aux modes d'accueil collectif des bébés et des enfants. Des interventions régulières d'experts, psychologues ou psychopédagogues dans la presse, mettant en doute la qualité de l'environnement pédagogique des crèches, entretiennent un climat d'inquiétude sur les risques attachés à la fréquentation intensive des crèches par les petits enfants. L'idéal de la maternité totale, transformé partiellement en un idéal de parentalité partagée, continue de peser sur les opinions et représentations collectives des Néerlandais. Du côté des organisations syndicales, et sous l'influence des féministes qui les investissent à partir des années 1980, la revendication syndicale d'une flexibilité profitable aux salariés et leur permettant de mieux concilier vie familiale et professionnelle est opposée à la flexibilité réclamée par les entreprises pour leur fonctionnement. Elle passe par l'extension des possibilités de travail à temps partiel pour tous et à tous les niveaux: une intense activité de négociation collective est déployée dans les branches et les entreprises, préparant le terrain de l'égalisation des droits des salariés à temps partiel et à temps plein. Plusieurs commissions gouvernementales planchent dans les années 1990 sur les adaptations nécessaires au développement de l'emploi féminin, encore fortement inspirées par l'activisme féministe sur le partage des tâches familiales et domestiques. Leur travail contribue à la consolidation des droits des travailleurs à temps partiel, au soutien des innovations en matière d'harmonisation des temps sociaux, à l'assouplissement des temps d'accueil scolaire et périscolaire et à l'extension des places de crèche. | ||||||||||
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![]() Sur le plan de la réglementation du travail à temps partiel, deux textes importants voient le jour entre 1996 et 2000, au terme d'un intense travail parlementaire. Le premier des textes, la Wet houdende verbod van onderscheid naar arbeidsduur (WOA - Loi interdisant la discrimination fondée sur le temps de travail, 1996) prohibe tout traitement différencié entre travailleurs à temps plein et à temps partiel en matière de conditions de travail, d'emploi ou de garanties sociales. Le second introduit en 2000 dans le Code civil un nouveau droit pour les salariés à l'adaptation de leur temps de travail, à la baisse comme à la hausse. Des doutes surgissent pourtant, au début des années 2000, sur ce modèle et cet idéal du temps partiel pour tous. Sur le plan économique, le faible taux de chômage fait craindre une pénurie de main-d'oeuvre et, en même temps, les femmes commencent à être vues comme un gisement de main-d'oeuvre insuffisamment exploité. Des sondages effectués auprès d'employeurs montrent que les problèmes de coordination sont fréquents dans les secteurs les plus utilisateurs du temps partiel. Bien qu'elle ait commencé à augmenter, la part des femmes dans les postes à responsabilité reste trop faible. Enfin, sur le plan de la vie familiale, on est encore loin du partage égal des tâches entre les hommes et les femmes. En 2006, le temps partiel est l'objet d'une vive controverse qui divise les féministes. Certaines voient dans le temps partiel le camouflage du modèle traditionnel de ménage à un seul actif. La journaliste Helen Mees (2007) ouvre une polémique en appelant à la fin du ‘féminisme à temps partiel’ et invite les femmes à déployer à fond leur potentiel. Entre 2008 et 2010, une commission Deeltijd Plus (Temps partiel Plus) est créée, confiée à des personnalités de la société civile, pour pousser à l'augmentation du temps de travail des femmes et au changement des mentalités. La crise financière et économique et la reprise du chômage ont fait passer ces discussions à l'arrière-plan. | ||||||||||
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Le travail à temps partiel en France, entre contrainte et choix suspectGa naar eind3En France, le travail à temps partiel a peine à trouver sa légitimité. Il reste l'objet d'une condamnation de fond comme l'instrument de la paupérisation des femmes peu qualifiées. Le temps plein reste la norme, renvoyant le temps partiel dans la discrétion de choix individuels dont la liberté est mise en doute. En France, les femmes ont quasiment toujours travaillé: au xixe siècle et avant dans l'agriculture, à domicile au tout début de l'industrialisation, puis dans les usines pour remplacer les hommes pendant la Première Guerre mondiale, et dans les bureaux entre les deux guerres. Après un intermède nataliste au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, le développement des services les a appelées en masse sur le marché du travail à partir des années 1960. Des équipements sociaux ont accompagné ces évolutions: quelques salles d'asile à la fin du xixe, puis des crèches créées dans les banlieues ouvrières au début du xxe, la création généralisée des écoles maternelles accueillant les enfants dès deux ans et toute la journée. Les féministes en France ont très tôt soutenu la cause de l'emploi à temps plein des femmes. Ainsi, le Comité du travail féminin (1965-1984), une instance officielle de conseil au gouvernement, a plaidé pour le développement de crèches et l'amélioration des conditions de travail, pour soutenir le travail à temps plein des mères de famille. Dans ce que nous appelons aujourd'hui problématique de la conciliation, c'est la famille qui était vue comme faisant problème, pas l'emploi. Dans cette vision, le temps partiel était une mauvaise solution, défavorable tant aux carrières des femmes qu'aux conditions de vie des ménages. On ignore dans cette approche la responsabilité exclusive des femmes pour les tâches familiales et domestiques qui restent socialement invisibles. Au début des années 1990, le chômage conduit le gouvernement à une politique de baisse du coût du travail par des réductions de cotisations sociales qui vont cibler le temps partiel que la flexibilisation des organisations productives rend particulièrement attractif pour les entreprises. Cette politique de réduction des charges sociales soutient la croissance du travail à temps partiel, qui passe de 8.1% de l'emploi en 1975 à 18% en 2007. Dans certaines branches féminisées comme le nettoyage, la grande distribution, l'aide aux personnes âgées, et dans certains métiers, on parle d'un ‘temps partiel contraint’ qui touche surtout les femmes peu qualifiées, en situation de sous-emploi et dont les salaires restent très faibles. En outre, l'incommodité de leurs horaires de travail rend ces emplois très peu compatibles avec la vie de famille, justifiant la critique d'un ‘marché de dupes’. En 2001, ces baisses de charges sont supprimées et le temps partiel stagne depuis cette époque. Parallèlement à ces évolutions du marché du travail, le temps partiel séduit un nombre croissant de femmes à partir des années 1980. Ces choix personnels sont favorisés, à partir des années 1990, par la diffusion de politiques de conciliation famille-emploi, à l'instigation de la Commission européenne. Les deux tiers des salariées à temps partiel affirment dans les sondages faire ce choix pour raisons familiales ou personnelles. Elles sont particulièrement nombreuses dans les services publics et les secteurs social, éducatif et de la santé. Chez les cadres et les personnels qualifiés, la domination d'une norme managériale masculine exigeant un surinvestissement dans le travail, freine les aspirations au travail à temps partiel et pénalise celles qui en font pourtant le choix. En France, la notion même de ‘choix’ est contestée, du fait d'un déficit persistant en places de crèche ou de garde d'enfants, des inégalités d'accès aux services péri-scolaires sur le territoire national et de pratiques d'organisation des horaires faisant peu de cas des contraintes familiales des salariés. Ainsi, en France, le doute subsiste sur le caractère | ||||||||||
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égalitaire des politiques family friendly qui, en s'adressant de fait aux femmes, les discriminent et les stigmatisent, sans pousser les hommes au changement. Ces conceptions continuent de structurer le rapport des Français à l'emploi, en dépit d'un malaise ressenti au travail et dans leur vie personnelle et de la difficulté à faire place égale aux femmes et aux hommes dans les entreprises et dans la société. D'une part, les Français sont, en Europe, à la fois ceux qui considèrent le plus le travail comme important et ceux qui aspirent le plus à réduire sa place dans leur existence pour consacrer plus de temps à leur vie familiale et personnelle. D'autre part, en dépit de leur investissement au travail, les femmes en France atteignent bien peu les niveaux de pouvoir dans les entreprises et dans les administrations. Et les salaires restent inégaux: 20% de différence entre les salaires moyens masculins et féminins à plein temps dans le secteur privé.
Si le temps partiel est respecté aux Pays-Bas comme une forme d'emploi ‘à part entière’, l'autre facette de l'utopie féministe, le partage égal des responsabilités familiales, n'est pas devenue réalité. Si les Françaises sont les championnes du temps plein et de la double journée, elles n'en sont pas encore récompensées pour autant par un égal accès aux responsabilités professionnelles, sociales et politiques. Sur le plan de l'égalité entre les femmes et les hommes, aussi bien la France et les Pays-Bas marquent le pas. Et s'il était temps de ne plus considérer ces deux projets féministes comme concurrents mais comme complémentaires? Marie Wierink | ||||||||||
Sources en langue française:
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Sources en langue néerlandaise et anglaise:
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