Septentrion. Jaargang 42
(2013)– [tijdschrift] Septentrion–CinémaLes DVD de la cinematek: la barre est placée très hautLa Cinémathèque royale de Belgique (devenue entre-temps la ‘Cinematek’) était à juste titre particulièrement fière lorsqu'elle présenta, à la fin de l'année 2005, la série complète de DVD intitulée Chronique du cinéma flamand 1955-1990. Avec ses classiques flamands restaurés numériquement et assortis de documentaires flambant neufs, cet ensemble de onze films témoignait en effet d'une qualité exceptionnelle. Les informations complémentaires que fournissaient les documentaires insufflaient une vie nouvelle à nombre de films remarquables. Cette série dans laquelle l'initiateur feu Michel Apers voulait voir l'‘amorce d'un regain d'intérêt pour un cinéma souvent tombé dans l'oubli’ était le résultat de quatre années de travail. Selon Erik Martens, animateur du projet qui en assura la continuation après le décès d'Apers, la Cinematek visait un double objectif. D'une part, il s'agissait de rendre accessibles les trésors du musée du cinéma soigneusement conservés. Les films étaient en effet disposés sur des rayonnages dans les caves des archives. Édités sous forme de DVD, ils devenaient disponibles dans des magasins, des bibliothèques, des vidéothèques, des écoles. Ce n'était pas vraiment un luxe superflu, car lorsqu'on commença à préparer la chronique, mis à part DaensGa naar eind1, on trouvait à peine du cinéma flamand sur DVD, et sûrement pas des classiques. D'autre part, l'intention d'Apers était de ne pas éditer ces films sans les contextualiser en les faisant accompagner d'informations fiables. Stimulée par les réactions positives à l'égard de l'initiative de la Chronique, la Cinematek décida de ne plus lâcher le patrimoine cinématographique flamand. Initialement, on se focalisa surtout, de manière quelque peu surprenante, sur la non-fiction. Conformément à la devise qu ‘on n'aime que ce qu'on connaît’, du matériel documentaire historique passionnant fut recueilli sur des DVD thématiques: les chemins | |
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![]() de fer (Rail), la navigation aérienne (Sabena), l'agriculture (Agricultures), l'exploitation minière (Les Mines), le colonialisme (Le Congo belge), les jardins zoologiques (Zoologie), l'industrie portuaire (Docks & Dockers), les expositions (Expo 58, Expotopia) et l'art (Avant-garde). Voilà autant de DVD thématiques qui emmènent le spectateur dans une machine à remonter le temps et lui fournissent des impressions d'un passé parfois lointain. Ainsi, pour Anvers, ville en images, la Cinematek s'alignait sur la raison d'être du Museum aan de stroom anversois (MAS - Musée au bord du fleuve), qui se propose de retracer l'histoire de la ville au bord du fleuveGa naar eind2. Au moyen de vingt-deux petits films (réalisés par des cinéastes professionnels et amateurs) on essaie de reconstituer l'histoire de la ville portuaire au xxe siècle et d'esquisser une image de la vie et du travail à Anvers à travers les années. Selon le réalisateur Erik Martens, l'intention était de faire découvrir au spectateur féru d'histoire des documents d'archives, des images montrant le passé dans le langage de celui-ci. Entendez par là qu'on ne sort pas les images de leur contexte en les insérant dans un nouvel ensemble documentaire, mais aussi qu'aucune interprétation des images ni de leur langage n'est avancée. Cette approche était loin d'être incontestée. D'aucuns la jugeaient trop peu critique et insuffisamment éducative. D'autres y décelaient de la paresse intellectuelle ou une influence trop prononcée des ‘partenaires’. Par ailleurs, le documentaire manifestement subjectif Avec nos gars à l'Yser, mélange d'images authentiques et de reconstitutions, assorti de commentaires orientés, suscita, lors de sa parution, des critiques fustigeant le caractère propagandiste de ce film flamingant, alors que Daniël Biltereyst et Roel Vande Winkel (auteurs de l'ouvrage Filmen voor Vlaanderen - Filmer pour la Flandre) le situaient parfaitement dans son contexte historique. Des films de fiction plus conformes à l'image cinéphile de la Cinematek faisaient beaucoup moins de vagues. Le film muet Die Austernprinzessin (La Princesse aux huîtres), | |
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réalisé en 1919 par le légendaire cinéaste allemand Ernst Lubitsch, a été édité sur DVD avec une bande son composée par Peter Vermeersch à la demande du festival du cinéma de Gand et exécutée par les musiciens du big band Flat Earth Society. Ce film moins connu de Lubitsch s'avérait un éminent précurseur de la screwball comedy, la comédie loufoque américaine comportant un récit romantique comique et émaillée de beaucoup de cocasserie. Dans une veine comparable, bon nombre de cinéphiles ont salué la sortie de versions restaurées des classiques Les Vacances de Monsieur Hulot, Mon oncle et Playtime rendant hommage au génie comique français Jacques Tati. Les collections de deux maîtres belges, André Delvaux (1926-2002) et Henri Storck (1907-1999), constituent les plus beaux fleurons des éditions sur DVD de la Cinematek. Storck, pionnier du documentaire belge, était un homme engagé qui s'est penché sur ‘une classe politique déterminée rarement visualisée au cinéma et dont les problèmes ne sont que très rarement voire jamais abordés’, ce qui ne fait pas pour autant de lui un pamphlétaire: il ne cherchait pas à convaincre, mais il voulait montrer, et pour ce cinéaste passionné de photographie et d'art cela devait se faire de manière esthétique. Ses films sont des monuments de style et appréhendent l'esprit aussi bien social qu'artistique de l'époque. Avec quatre DVD, la Cinematek met en évidence l'éclectisme de Storck. Nous redécouvrons ses documentaires sociaux (Misère au Borinage), son oeuvre de ‘cinégraphiste’ de sa ville natale (Images d'Ostende), la contestée Symphonie paysanne (fresque documentaire évoquant la vie quotidienne et les rites de la vie paysanne au rythme des saisons, tournée au cours de la Seconde Guerre mondiale et accusée d'être une propagande en faveur de l'idéologie nazie) ainsi qu'une collection de documentaires sur l'art sous le titre Art & Cinéma. Les six DVD de Delvaux sont les joyaux de la couronne de la Cinematek. Lorsque, dans l'interview qui y figure comme bonus, on lui faisait remarquer que le réalisme magiqueGa naar eind3 s'est progressivement évaporé dans son oeuvre, Delvaux répondit avoir le sentiment que son itinéraire de cinéaste l'avait conduit des zones frontières poétiques au noyau dur de sa vie, avec tous ses côtés plus ardus. Des films des premières années tels que L'Homme au crâne rasé, Rendezvous à Bray et Belle, dit Delvaux, ne reflètent en aucune manière le monde tourmenté tel qu'il était à l'époque. Il importait surtout de trouver une forme qui permette d'exprimer la vie intérieure de l'auteur. Mais Femme entre chien et loup abordait pour la première fois un sujet jusque-là tabou, à savoir la collaboration de la Flandre avec l'Allemagne nazie et l'atmosphère empreinte d'ambiguïté dans laquelle le curé du village incitait de jeunes nationalistes à aller se battre sur le front de l'Est aux côtés des Allemands. On était loin du réalisme magique. S'en éloignaient encore davantage ses drames passionnément romantiques empreints de mélancolie Benvenuta et L'OEuvre au noir. Le DVD André Delvaux. Sa vie, son oeuvre, qui comporte des courts métrages et des documentaires moins connus de Delvaux, des interviews avec ses collaborateurs ainsi qu'un portrait du cinéaste, clôt de manière tout à fait appropriée la collection. La Cinematek a de la sorte fourni un excellent travail en plaçant la barre très haut pour ce qui est de la qualité et du niveau des éditions et collections de DVD à venir. ivo de kock |
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