Économie
La fin d'un sport national en Belgique
C'était devenu inévitable: au cours de ces dernières années et de ces derniers mois, la lutte contre la fraude fiscale s'est intensifiée en Belgique. Pratiquement chaque jour les journaux révèlent une nouvelle enquête pour fraude fiscale et, apparemment, personne n'est à l'abri. C'est ainsi que des instructions judiciaires pour fraude fiscale sont (ou ont récemment été) en cours concernant le commissaire européen Karel De Gucht (sur le financement de sa villa de Toscane), toute une série de diamantaires anversois (sur l'exportation en contrebande de leurs pierres scintillantes) et la vedette actuelle du cyclisme flamand, Tom Boonen, qui aurait fraudé le fisc en ayant feint de résider à Monaco. La divulgation de tous ces dossiers effraie ceux qui, peu ou prou, détiennent de l'argent noir. Aussi n'est-il pas tellement surprenant que des Belges de plus en plus nombreux se présentent au point de contact Régularisations fiscales. Jusqu'à la fin 2013, ils peuvent y faire régulariser leurs capitaux non déclarés, moyennant une amende mais sans suites judiciaires.
La fraude fiscale a été, durant des années, un sport national en Belgique. Si l'on achetait un terrain, on acquittait souvent une partie du montant en dessous de table. Si l'on faisait construire une maison, l'entrepreneur n'intervenait que s'il était payé en partie au noir. Même les médecins ou les dentistes demandaient parfois un complément d'honoraires dans une enveloppe. Les femmes de ménage étaient le plus souvent payées en liquide, sans que le fisc en fût informé. Il n'était pas rare non plus qu'un héritage ne fût que partiellement déclaré. Et les ‘trains à coupons’ vers le Luxembourg étaient bien connus: d'innombrables épargnants belges les empruntaient pour aller retirer eux-mêmes leurs gains sur leurs comptes d'épargne luxembourgeois qu'ils ‘oubliaient’ ensuite de déclarer au fisc belge. Ce ne sont que quelques exemples, pris dans la vie quotidienne, des formes sous lesquelles la fraude fiscale prospérait en Belgique. D'après les calculs, les capitaux occultes en circulation en Belgique en 2012 étaient de l'ordre de 60 milliards d'euros, soit 21,5 pour cent environ du PIB (produit intérieur brut, agrégat de la production intérieure de biens et de services). Et c'est beaucoup, car la Belgique se situe ainsi à la cinquième place en Europe, derrière la Grèce, l'Italie, l'Espagne et le Portugal.
Le fait que la lutte contre la fraude fiscale soit maintenant devenue effective correspond, c'est certain, à une tendance internationale. Une première impulsion eut lieu après les attentats terroristes du 11 septembre 2001 à New York. Les États-Unis voulurent dresser l'inventaire des flux monétaires afin de pouvoir s'attaquer au financement du terrorisme. Lorsque quelques années plus tard, le 15 septembre 2008, la banque américaine Lehman Brothers fit faillite, le monde entier se trouva plongé dans une crise financière qui déboucha finalement sur la crise économique contre laquelle nous luttons encore. Pour en prévenir la répétition, les autorités demandèrent plus de transparence de la part des banques. Ce fut la deuxième accélération. De plus, du fait de la crise (bancaire), ces autorités connaissaient des besoins financiers accrus. Les États-Unis commencèrent donc à demander avec insistance aux banques et aux paradis fiscaux de révéler les identités des fraudeurs et, en tout cas, de ne plus les accueillir à bras ouverts. Les pays furent de plus en plus nombreux à s'associer volontiers à cette initiative, et la Belgique ne fit pas exception.
De surcroît, chez beaucoup de Belges, la mentalité s'est modifiée: on ne tolère plus la fraude fiscale comme ça, maintenant on l'estime répréhensible. L'idée est aujourd'hui que chacun doit y mettre du sien pour sortir de cette crise profonde. En tout cas, des signalements de plus en plus nombreux parviennent, via Internet, à l'administration fiscale belge. En 2012, il y en a eu 1221, une augmentation de 500 par rapport à 2011. Ces signalements sont le fait d'un ami ou d'un voisin mais aussi parfois d'un ‘ex’. Ou bien d'un salarié licencié d'un établissement financier qui a vu passer tout cet argent noir et livre les listes nominatives des clients fraudeurs. Quand, avec les offshore leaks, 130 000 noms furent révélés de personnes possédant des intérêts dans une