Septentrion. Jaargang 42
(2013)– [tijdschrift] Septentrion–
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HistoireLe rêve américain à Anvers: le musée de la ‘Red Star Line’Au début du XXe siècle, Arthur Rousseau, un jeune ouvrier du bâtiment originaire de Deinze en Flandre-Orientale, est parti tenter sa chance en Amérique. C'était un frère de ma grand-mère. Il a finalement abouti à une trentaine de kilomètres de Detroit, à Saint Clair Shores, où il a monté une entreprise de construction. Comme pour de nombreux migrants européens, son histoire a commencé à Anvers, d'où il embarqua sur un des bateaux de la compagnie Red Star Line. Entre 1873 et 1934, cette compagnie maritime transporta plus de deux millions de passagers d'Anvers à New York ainsi qu'une petite partie vers le Canada. Moins de 10% d'entre eux étaient des Belges. La plupart des passagers de la Red Star Line venaient principalement d'Europe de l'Est et un grand nombre d'entre eux étaient d'origine juive. Fin septembre 2013, un nouveau musée a ouvert ses portes dans les anciens bâtiments de la compagnie. On y retrace les histoires de ces millions d'émigrants. Ils avaient tous le même but: aller chercher fortune. Ces histoires commencent au moment où les migrants ont quitté leur domicile d'origine. La misère, la guerre ou le racisme les y ont forcés. Rares sont les personnes qui sont parties par soif d'aventure. La plupart du temps, un membre de la famille précédait les autres. Il s'agissait souvent du père. Les familles étaient parfois séparées pendant des années. Certains traversaient la moitié de l'Europe en train pour arriver à Anvers. Beaucoup avaient acheté leur ticket près de chez eux; toutes les étapes de leur périple y étaient mentionnées. Le prix incluait le trajet en train, le logement à Anvers, le ticket de bateau et souvent aussi le billet de train vers leur destination finale en Amérique. Les nombreux émigrants donnèrent de la couleur à la ville d'Anvers. À l'apogée de la Red Star Line, il arrivait des milliers d'émigrants par semaine. Ils étaient souvent escortés de la gare jusqu'aux locaux de la compagnie maritime, où ils étaient soumis à un contrôle rigoureux. Leurs vêtements et leurs bagages étaient désinfectés et ils devaient même passer sous la douche. Ensuite ils subissaient un examen médical approfondi. Ceux qui n'étaient pas en bonne santé ne pouvaient pas partir. La raison de cette politique sévère était simple. Les autorités américaines craignaient que les nombreux immigrants ne soient porteurs de toutes sortes de maladies et tous ceux qui pénétraient dans le pays via Ellis Island étaient à nouveau contrôlés minutieusement. Ceux qui ne satisfaisaient pas à ce contrôle étaient inexorablement rapatriés, et ce aux frais de la compagnie maritime. Les contrôles sévères étaient surtout réservés aux passagers de troisième classe. La plupart d'entre eux ne restaient que très peu de temps dans la ville portuaire belge. Mais pour ceux qui ne passaient pas le contrôle, le séjour pouvait durer plus longtemps. Ils étaient souvent![]() Affiche de la Red Star Line, 1893, Amis de la Red Star Line, Anvers.
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![]() La salle d'enregistrement à Ellis Island, 1912 © Corbis.
recueillis par des organisations de secours ou se retrouvaient dans les hôpitaux locaux. Le musée de la Red Star Line relate, entre autres, l'histoire de Ita Moel, une fillette russe qui émigra vers l'Amérique en 1921 avec sa mère et ses frères pour rejoindre le père de famille et qui fut refoulée pour cause de maladie oculaire. Elle dut rentrer seule à Anvers, où elle fut recueillie par Ezra, une organisation de secours juive. Ce n'est qu'en 1927 qu'elle pourra enfin rejoindre les siens. Les migrants inspirèrent également certains artistes. Ce fut surtout le cas pour Eugeen Van Mieghem (1875-1930). Ses parents tenaient un café en face de l'entrée des hangars de la Red Star Line. Van Mieghem dessinait et peignait inlassablement les émigrants qui passaient devant sa porte. Ses oeuvres exhalent une atmosphère pessimisteGa naar eind1. Depuis quelques années, Van Mieghem a son propre musée à Anvers, non loin du nouveau musée de la Red Star Line. L'oeuvre de Constantin Meunier et d'Eugène Laermans (1864-1940) fut également marquée par le thème de la migration massive. L'imposant tableau de Laermans De Landverhuizers (Les Émigrants) est d'ailleurs exposé au musée. Une fois le contrôle passé, les émigrants pouvaient embarquer. Au fil des années, la compagnie maritime possédait 23 bateaux. Le navire amiral de la compagnie était le Belgenland II, qui fut d'ailleurs construit sur le même chantier naval que le Titanic. Le Belgenland II pouvait transporter 500 passagers en première classe, 500 en deuxième classe et 1500 en troisième classe. Pour cette dernière catégorie, la traversée n'était pas une partie de plaisir. Ils étaient confinés dans l'entrepont du navire, strictement dissociés des autres passagers. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, les voyageurs dormaient dans de petits lits superposés, sur des matelas de paille. Ils mangeaient dans la même salle. Lorsque le temps le permettait, ils avaient le droit d'aller sur le pont. De là, ils pouvaient voir les ponts supérieurs où les passagers de première et deuxième classe se prélassaient dans le luxe. Après 1889, les conditions des voyageurs de troisième classe furent sensiblement améliorées pour des raisons commerciales. Pour les émigrants, le passage près de la statue de la Liberté constituait un moment d'intense émotion. Cela signifiait la fin d'un voyage long et difficile et le début d'une nouvelle | |
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vie. Mais d'abord, ils devaient à nouveau subir un examen complet. Les voyageurs de première et deuxième classe n'y étaient contraints que s'ils avaient l'air malade. Tous les autres étaient obligés de se soumettre à un contrôle médical et administratif approfondi sur Ellis Island. Entre 1892 et 1924, environ douze millions d'immigrants sont passés par là. Deux pour cent d'entre eux furent impitoyablement refoulés; parmi les autres, certains se retrouvèrent à l'infirmerie d'Ellis Island pour une assez longue période. Au musée, on raconte l'histoire de la fillette ukrainienne Basia Cohen, qui, après son arrivée à New York, dut rester encore pendant huit mois sur Ellis Island car on lui avait décelé une infection mycosique. Après leur arrivée à New York, la plupart des émigrants poursuivaient directement leur voyage pour atteindre leur destination finale sur le sol américain. Le plus souvent, ils y étaient attendus par des membres de la famille ou des compatriotes qui les y avaient précédés. C'est ainsi que se sont formées de véritables communautés d'immigrants, dont on retrouve encore les traces aujourd'hui. Les Belges avaient également leurs communautés avec leurs propres clubs et leurs propres périodiques. Quant à savoir si tous ces émigrants ont également réalisé leur rêve américain, ce n'est pas certain. Plusieurs d'entre eux sont revenus après quelques années. Parce qu'ils avaient le mal du pays, qu'ils cherchaient l'âme soeur ou simplement parce qu'ils n'avaient pas trouvé ce qu'ils espéraient de l'autre côté de l'océan. Le déclin de la Red Star Line a commencé dans les années 1920 lorsque le gouvernement américain a durci la législation sur l'immigration. On a encore essayé de renverser la situation en proposant des voyages touristiques, des croisières et le transport de voitures. Mais en 1934 la compagnie fut définitivement mise en liquidation. Les bâtiments eurent une autre destinée et la Red Star Line disparut peu à peu de la mémoire des Anversois. Mais pas de celle du docker Robert Vervoort qui s'était mis à collectionner tout ce qui concernait la Red Star Line. Il réussit à se procurer plus de 5 000 objets, dont l'acte de fondation original. Sa folie collectionneuse est à la base du nouveau musée qui est hébergé dans les bâtiments d'origine. C'est le bureau d'architecture américain, Beyer Blinder Belle Architects and Planners, auquel on doit également la rénovation du musée d'Ellis Island, qui construisit ce nouveau musée. Le fleuron de l'édifice est une tour flambant neuve, du haut de laquelle les visiteurs ont une superbe vue sur l'Escaut et la ville d'Anvers. À l'intérieur du musée, un parcours a été installé grâce auquel le visiteur peut suivre le chemin que les émigrants eux-mêmes ont dû parcourir, en passant par le contrôle, les douches, en traversant la passerelle qui les menait à l'entrepont, jusqu'à l'arrivée à Ellis Island. Partout dans le musée, ce sont les véritables migrants qui ont la parole, car ici on ne fait pas qu'exposer des objets, mais on raconte surtout des histoires. Le visiteur fait la connaissance de voyageurs inconnus. Mais aussi de personnages mondialement connus comme Albert Einstein qui a voyagé à plusieurs reprises avec la Red Star Line, ou Irvin Berlin, le célèbre musicien qui a composé White Chrismas et There Is No Business Like Showbusiness et qui, parti de Biélorussie à l'âge de cinquante ans, s'embarqua pour l'Amérique à bord du ss Rhynland. Sa famille fit don au musée d'un de ses pianos. Il est un exemple de ces émigrants qui réalisèrent leur rêve américain en passant par Anvers. Mais le musée s'intéresse aussi aux mouvements migratoires en général et montre que l'aventure se répéta en tout temps et en tout lieu. Quant à Arthur Rousseau, je ne sais s'il a réalisé son rêve américain. De lui, je ne possède qu'une vingtaine de lettres, écrites dans un néerlandais de plus en plus médiocre, qui rendent compte de sa vie en Amérique. Peut-être dois-je les envoyer au musée de la Red Star Line. Ainsi, son témoignage fera partie de la grande collection d'histoires que les collaborateurs du musée ont déjà pu rassembler ces dernières années. dirk van assche |
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