Septentrion. Jaargang 42
(2013)– [tijdschrift] Septentrion–Littérature‘À plusieurs, on parvient à une traduction formidable’: l'atelier de traduction littéraire de l'Institut Néerlandais, 1986-2013L'Institut Néerlandais de Paris fermera ses portes au 31 décembre de cette année. Sa disparition laissera un grand vide: le paysage culturel parisien ne sera plus tout à fait le même. Parmi ses nombreuses activités, il en est une qui peut paraître anecdotique - car elle ne concernait qu'un petit groupe de gens - mais qui aura accompagné la vie de l'Institut pendant près de trente ans: je veux parler de son atelier de traduction littéraire. Vers le milieu des années 1980, la littérature d'expression néerlandaise commençait à acquérir une certaine visibilité en France, grâce à l'action conjuguée de quelques éditeurs à l'esprit curieux et de quelques traducteurs enthousiastes. Les uns et les autres profitaient du généreux soutien de la Stichting voor Vertalingen (Fondation pour la traduction) d'Amsterdam, lointain ancêtre du Letterenfonds d'aujourd'hui. À cette époque, le conseiller culturel de l'ambassade des Pays-Bas à Paris, également directeur de l'Institut Néerlandais, était George Strasser. Il avait à coeur d'accompagner cette présence encore timide des lettres néerlandaises en France, mais devait constater rapidement l'existence de deux obstacles à son développement: d'une part, les éditeurs français ne recevaient qu'une information fragmentaire sur l'actualité littéraire néerlandaise et, en particulier, ne disposaient presque jamais de fragments traduits qui eussent pu leur mettre l'eau à la bouche; d'autre part, il n'y avait tout simplement pas assez de traducteurs littéraires de néerlandais. Pour s'attaquer au premier obstacle, | |
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![]() Photo I. Leenders.
George Strasser créa à l'Institut un petit groupe de réflexion appelé ‘Comité littéraire’: il était composé de quelques personnes de bonne volonté ayant des liens avec le monde éditorial et susceptibles d'attirer l'attention de celui-ci sur tel ou tel ouvrage intéressant, en fournissant à la fois des notes de lecture et des extraits traduits. Le président de ce comité était l'historien Edmond Pognon, homme érudit, charmant et tout dévoué à cette cause nouvelle pour lui; Hella S. Haasse (1918-2011), qui vivait alors près de Paris, fit un moment partie du comité. Quant à moi, j'en étais le secrétaire, chargé de fournir ou de produire notices et traductions. Bien entendu, je ne pouvais suffire seul à cette tâche. Aart van Zoest, alors professeur de néerlandais à l'université de Paris IV, et George Strasser eurent l'idée de fonder un ‘atelier’ pour former à la traduction littéraire un petit groupe d'étudiants ou d'autres personnes intéressées, et de m'en confier la direction. L'idéal aurait été de faire de cet atelier une formation universitaire sanctionnée par un diplôme spécifique, mais ce fut impossibleGa naar eind1. L'atelier devint donc une activité exclusive de l'Institut Néerlandais, organisée toutefois sous le contrôle et avec une généreuse subvention de la Nederlandse Taalunie (Union de la langue néerlandaise). L'atelier de traduction fut lancé très officiellement en octobre 1986; il devait comprendre environ quarante heures d'enseignement pratique d'octobre à juin, dispensé à une vingtaine de participants. Ceux-ci se réunissaient toutes les deux semaines pour une séance de travail de deux heures et demie environ. Les textes traduits collectivement par les participants viendraient alimenter l'activité du ‘Comité littéraire’, mais pourraient être aussi publiés dans des revues, au premier rang desquelles Septentrion. Cette possibilité de publication contribua à orienter la production de l'atelier vers un domaine auquel nous n'avions pas forcément songé au début: la traduction de poésie, et ce d'autant plus que les poèmes, généralement courts, se prêtaient bien à nos séances de travail, alors relativement brèves. Depuis 1988, Septentrion a publié presque chaque année des séries de poèmes traduits par l'atelier: panorama de la ‘Poésie en Flandre depuis 1950’ (1988), ou ‘aux Pays-Bas depuis 1945’ (1991), ou aperçus de l'oeuvre poétique d'auteurs aussi divers que Martinus Nijhoff (1884-1953), Eddy Van Vliet (1942-2002), J. Bernlef (1937-2012) ou Robert Anker (o 1946). En 1989, la Stichting voor Vertalingen nous commanda même | |
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la traduction d'une anthologie complète, mais le volume qui devait rassembler nos contributions ne vit jamais le jour. Il existe cependant au moins un livre, de prose celui-là, dont la traduction est due à un ‘collectif’ composé de volontaires issus de l'atelier: Une année allemande (Actes Sud, 1991), la traduction des Berlijnse Notities de Cees Nooteboom (o 1933), chronique de la chute du Mur. L'atelier de l'Institut Néerlandais connut une fin provisoire en 1992, du fait de mon départ pour les Pays-Bas, où je devais prendre la direction de l'Institut français d'Amsterdam. Dès 1995 cependant, l'activité reprenait, sous une autre forme: l'Institut Néerlandais avait l'habitude d'organiser pour son public des week-ends thématiques, de musique, de danse ou de théâtre. La directrice des cours, Claran Wielenga, eut l'idée d'appliquer ce système à la traduction et m'invita à animer deux ‘week-ends’ par an, l'un au printemps, l'autre à l'automne. Les textes à traiter étaient fonction du programme de l'institut - je me rappelle nos efforts pour traduire les paroles de chansons destinées à une comédie musicale pour enfants, ou bien nos séances de travail avec des écrivains invités, par exemple Abdelkader Benali (o 1975) ou Kristien Hemmerechts (o 1955). Parfois je choisissais de traiter des textes sur lesquels je travaillais à ce moment-là et dont les extraits traduits ensemble pouvaient servir à une prépublication, toujours dans Septentrion. À d'autres moments il s'agissait d'auteurs qui m'intéressaient et que j'aurais voulu faire mieux connaître, comme Anton Valens (o 1964) ou Stephan Enter (o 1968). Ce mode de fonctionnement, réduit peu à peu à un week-end annuel, s'est maintenu tout au long des années 2000, grâce au soutien de l'actuelle directrice des cours, Ineke Paupert. En 2008, j'ai confié les clés de l'atelier à Isabelle Rosselin, qui l'anime depuis dans le même esprit avec beaucoup de succès. Elle aussi se sert du ‘forum de discussion’ exceptionnel que constituent les ateliers pour affiner sa réflexion sur les auteurs qu'elle traduit (David Van Reybrouck (o 1971), Vonne van der Meer (o 1952)), ou pour promouvoir des auteurs qu'elle aimerait voir traduits (Thomas Rosenboom (o 1956), Esther Gerritsen (o 1972)). Quelques principes sont restés inchangés depuis les débuts de l'atelier. Puisqu'il avait lieu dans un contexte extra-universitaire, j'ai tenu à ce qu'il soit accessible à tous, sans aucune exigence préalable. Le goût de la traduction et le talent de traduire peuvent se manifester indistinctement chez une lycéenne, une femme au foyer, un retraité des postes ou un chercheur surdiplômé. Les groupes ainsi composés sont forcément hétérogènes, mais cela ne m'a jamais paru constituer un obstacle. Très vite, l'atelier s'est mis à fonctionner à deux vitesses, avec un noyau de participants plus expérimentés qui fournissaient à chaque séance des traductions personnelles, et un ‘second cercle’ d'auditeurs qui s'instruisaient et se formaient au contact des premiers - et stimulaient ceux-ci, ainsi que l'animateur, par leurs questions, leurs remarques et leurs propositions. Il y a toujours eu en effet, au sein de l'atelier, des néerlandophones de naissance, dont la présence s'est révélée très enrichissante, ce que confirme Isabelle Rosselin: ‘Les groupes mixtes, néerlandophones et francophones, permettent d'avoir un échange vraiment fructueux. On peut traduire tout en nuances.’ Car si les ateliers permettent de produire des traductions, ce sont surtout d'incomparables instruments de formation. La réflexion collective permet de faire affleurer tous les éléments d'un texte, des plus petits aspects de sa forme aux interprétations les plus cachées de son récit ou de son discours. L'animateur de l'atelier est le premier à en profiter, à s'en enrichir, et je souscris totalement à cet égard au témoignage d'Isabelle Rosselin: ‘Dans ces ateliers’, écrit-elle, ‘j'ai beaucoup appris. Je me suis aperçue que tout le monde bute sur les mêmes passages et s'en sort plus ou moins bien. À plusieurs, on parvient à une traduction formidable. Les bonnes trouvailles fusent de partout.’ Ces longues séances de questionnement en commun, qui pouvaient dégénérer en fous rires, ne sont pas seulement génératrices de bons souvenirs, elles constituent la vraie plus-value de ces ateliers: une dynamique qui fait que la réflexion du groupe est supérieure à la somme des réflexions individuelles. Cette dynamique a-t-elle suffi à susciter des vocations? Je n'ai pas la | |
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prétention de le penser. Mais j'imagine qu'elle a pu confirmer la vocation naissante de bien des participants, qui sont aujourd'hui des traducteurs reconnus: je songe à Daniel Cunin ou à Isabelle Rosselin elle-même, fidèles des débuts de l'atelier, à Danielle Losman ou à Micheline Goche qui faisaient souvent le voyage de Bruxelles à Paris, à Arlette Ounanian ou Mireille Cohendy qui venaient parfois d'Amsterdam, à Bertrand Abraham ou à David Goldberg, dont la curiosité insatiable suffisait à animer la discussion des journées entières - et je pourrais allonger sans peine cette liste. Aujourd'hui d'autres possibilités d'atelier existent, financées par la Nederlandse Taalunie, organisées par le Expertisecentrum literair Vertalen (Centre d'expertise sur la traduction littéraire) d'Utrecht, la Vertalershuis (Maison des traducteurs) d'Amsterdam ou plus récemment encore la ‘Fabrique européenne des traducteurs’ lancée par le Collège international des traducteurs d'Arles. Un master international de traduction littéraire est en train de se construire. Mais en son temps, l'atelier de l'Institut Néerlandais de Paris était seul, et il a fait un travail de pionnier. Eu égard aux services qu'il a rendus et peut rendre encore, il ne mérite pas de disparaître. philippe noble |
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