Septentrion. Jaargang 42
(2013)– [tijdschrift] Septentrion–Dans le mauvais train: Gerard WalschapGerard Walschap (1898-1989) est le conteur par excellence de la littérature flamande du XXe siècle. Dans ses romans, il brosse avec un naturel prodigieux et dans un style cinématographique l'image d'une Flandre en pleine mutation au siècle dernier. À partir des années 1950, la société flamande, autrefois profondément catholique et agraire, commençait à se séculariser et à se globaliser. Dans ce contexte, Walschap est généralement cité d'un trait avec ces autres grands auteurs épiques flamands qu'étaient Stijn Streuvels (1871-1969), Felix Timmermans (1886-1947)Ga naar eind1 et Hugo Claus (1929-2008)Ga naar eind2. Une façon de raconter directe, populaire et orale, combinée avec un langage métaphorique étonnant, voilà la marque de Walschap. Le dynamisme de son récit peut se comparer avec celui de l'écrivain et cinéaste naturaliste français Marcel Pagnol. Avec un même brio réaliste et le même style cinématographique, Walschap campe les bouleversements sociaux de manière très expressive dans ses romans les plus célèbres tels L'homme qui voulait le bien (1944)Ga naar eind3 et Houtekiet (1966)Ga naar eind4. Jos Borré, critique littéraire, a travaillé pendant six ans à cette biographie monumentale de Walschap. À cet effet, il choisit le point de vue de l'auteur lui-même. Borré focalise l'attention sur tous les détails possibles de la vie de l'auteur, tout en amplifiant les vicissitudes de sa vie personnelle jusqu'à l'histoire en général. Autant la petite histoire de Walschap semble haute en couleur sous la plume de Borré, autant elle ouvre les yeux sur la grande histoire. C'est probablement le plus grand mérite de cette biographie. Même le lecteur qui n'est pas précisément un inconditionnel de Gerard Walschap se laisse entraîner dans ce large tableau panoramique où presque tous les événements majeurs et les protagonistes de l'histoire politico-littéraire du XXe siècle sont passés en revue. En quelque sorte, Walschap est l'exemple même de l'auteur flamand du siècle passé, car il fut le premier à oser secouer le joug du catholicisme. Né à Londerzeel, commune du | |
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![]() Gerard Walschap (1898-1989).
Brabant flamand, le petit Gerard semblait prédestiné à devenir curé ou missionnaire. Mais très tôt, au cours de sa formation, au sein même du monastère, le jeune Walschap se rendit compte qu'il n'était pas fait pour le sacerdoce. En 1921, il quitta l'habit et s'en alla travailler comme journaliste littéraire pour la presse catholique de l'époque. Borré a été le premier à déceler les circonstances exactes de ce retour à la vie laïque de Walschap. Celui-ci jouait, dans l'enceinte même du monastère, à de petits jeux sexuels avec un confrère espagnol qui vendit la mèche. Borré cite en outre Walschap lui-même, qui avoue que sa libido était incompatible avec les contraintes du célibat du prêtre catholique. Le biographe ajoute que, sa vie durant, Walschap subit ses appétits sexuels comme une punition, non seulement à l'intérieur de son mariage avec une enseignante catholique limbourgeoise, mais également dans son oeuvre, où un grand nombre de personnages sombrent à la suite de leurs propres excès sexuels. Walschap se brouilla définitivement avec l'establishment catholique lorsqu'en 1929 il débuta officiellement sa carrière littéraire avec le roman Adelaïde, où il analyse minutieusement le conflit intérieur de sa protagoniste entre le devoir social (être une bonne catholique) et sa nature humaine. À partir de là, tant Walschap, l'homme, que son oeuvre seront frappés d'excommunication. Entre Walschap et l'Église, cette guerre culturelle durera de longues années. Après la Seconde Guerre mondiale, la rupture entre l'auteur et le courant catholique dominant dans la société flamande devient définitive. En réaction, Walschap devient athée et libre penseur convaincu, mais là encore son prosélytisme est accueilli avec un certain scepticisme. De ce fait, Walschap se sent à tous les coups mis hors jeu et rejeté de toutes parts. Borré laisse entendre que cette solitude existentielle était la trame profonde de la vie de Walschap. Cette solitude fondamentale le mena, selon Borré, sporadiquement à des sentiments de haine de soi, voire à des idées de suicide. Alors que, dans son oeuvre, il chante souvent les louanges d'un paganisme vigoureux comme dans Houtekiet, dans sa propre vie Walschap semble avoir été tout sauf heureux comme il l'avoua lui-même dans une lettre de décembre 1940: ‘Dès son plus jeune âge, il semble toujours avoir été mis au monde comme quelqu'un qui serait monté dans le mauvais train et qui serait descendu dans une gare où il n'avait rien à faire sauf y attendre le bon train’. Une autre des nombreuses trouvailles de cette biographie est la révélation que le théoricien postmoderne de la littérature, Paul De Man, s'est également penché sur l'oeuvre de Walschap. De Man, journaliste culturel au quotidien | |
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bruxellois Le Soir au cours de la Seconde Guerre mondiale, avait fait autrefois une traduction française de Houtekiet qui malheureusement n'était jamais sortie des tiroirs. Borré s'est chargé d'examiner ces tiroirs de fond en comble, ce qui projette l'écrivain, ainsi que l'homme qu'était Walschap, et son entourage en pleine lumière (parfois pénible). frank hellemans |
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